Entretien avec Zarlasht Mirzoda, Directrice de l’école de filles Bibi Hafassa à Tcharikar

Zarlasht Mirzoda à son bureau

Zarlasht Mirzoda à son bureau

Zarlasht Mirzoda, Branche d’or en pashto, fait partie de cette nouvelle génération de femmes en Afghanistan, animées par l’envie d’apprendre et le désir de contribuer au développement du pays. Etudiante en médecine il y a quelques années, Zarlasht doit malheureusement abandonner l’université un temps pour s’occuper de problèmes familiaux. Motivée et tenace, elle décide de reprendre des études et s’oriente alors vers l’enseignement. Aujourd’hui à la tête d’une école réservée aux filles à Tcharikar (à une heure de Kaboul), elle revient sur la fondation de cette école soutenue par AFRANE et son arrivée à la direction et nous révèle aussi les obstacles et les difficultés quotidiennes que peut rencontrer une directrice d’école en Afghanistan.

 

Depuis combien de temps êtes-vous directrice, que faisiez-vous avant cela ?

Il y a longtemps, j’avais été acceptée à l’université de médecine. Malheureusement, j’ai dû abandonner mes études pour prendre soin de ma mère malade. Je les ai reprises quelques années plus tard, mais cette fois-ci, à l’Institut Pédagogique de Parwân, où je me suis formée à l’enseignement du Dari. Ensuite, j’ai été professeur au lycée Esteqlal de Tcharikar, puis chef des professeurs à Hora Djalali. Il y a cinq ans, le recteur de Parwân m’a demandé de venir diriger l’école Bibi Hafassa.

Pouvez-vous nous raconter un peu l’histoire de cette école ?

Avant que j’arrive, c’était encore l’école secondaire de Balaghail, une école mixte. Le recteur m’a envoyée ici parce que l’école mixte a été séparée en deux écoles : Bibi Hafassa pour les filles, et Abdullah Amiri pour les garçons. Cette séparation a permis aux filles de rester à l’école plus longtemps. Avant, lorsque les élèves quittaient l’école en 9ème [ndlr : équivalent 3ème en France], les garçons allaient dans un lycée de la ville, et les filles arrêtaient les études parce qu’il n’y avait pas de lycée de filles suffisamment proche pour leurs permettre de poursuivre leurs études. Il y a deux ans, on a eu notre première génération de filles qui ont fini leur scolarité au sein de Bibi Hafassa.

Quels sont les effectifs de votre école ?

Nous avons 1700 élèves pour 50 professeurs, 45 femmes et 5 hommes.

Et combien de salles de classe ?

Pour le moment nous avons 16 salles de classe que nous partageons avec l’école Abdullah Amiri. Mais cela va changer lors de la prochaine rentrée, je n’aurai que sept salles pour la première session de cours (6h30~9h15). Les garçons, qui ne faisaient pas cours à cette heure-là jusqu’à présent, vont devoir utiliser des salles. Il va donc y avoir beaucoup de classes en extérieur.

Quels sont vos projets pour l’école ?

Je cherche une organisation pour m’aider à construire un bâtiment. Je me suis même adressé aux députés du Parlement pour trouver un moyen d’arranger la situation, mais pour le moment rien n’est fait. Je suis aussi en train d’essayer de me débrouiller pour construire une bibliothèque.

Comment faites-vous cela ?

Au tout début, l’UNICEF distribuait des cahiers et des crayons aux élèves. Les parents ont donc pris l’habitude qu’il n’y ait rien à faire,  qu’on leur donnerait de quoi leurs enfants ont besoin. Lorsque l’UNICEF a arrêté de donner des fournitures, des parents sont venus se plaindre. Je leur ai expliqué que maintenant c’était à eux de donner un peu s’ils voulaient que leurs enfants aient une bonne éducation. J’ai donc demandé aux élèves de ramener des briques pour pouvoir construire une bibliothèque. Des parents sont allés se plaindre au recteur, qui leurs a dit que si ça leurs posait problème que leurs enfants aient à transporter des briques, il irait chez eux avec sa voiture pour aller chercher les briques. Alors les élèves ont continué à rapporter des briques, il y en a même qui ont apporté des sacs de ciments, et ce sont les professeurs qui se sont cotisés pour payer les salaires des maçons pour commencer le chantier.

Tente pour les cours en extérieur à Bibi Hafassa

Tente pour les cours en extérieur à Bibi Hafassa

Les élèves ont maintenant pris l’habitude de ne plus attendre, mais d’agir. Un jour des élèves sont venues me voir pour me dire qu’elles allaient réparer toutes les serrures qui sont cassées. Il y a des familles qui ne peuvent pas aider l’école, parce qu’elles sont pauvres. Mais il y a aussi des familles riches qui n’aident pas l’école ; [certains] m’ont demandé de pouvoir utiliser l’école pour faire campagne pour les prochaines élections et j’ai refusé, alors elles ne donnent rien. Mais dans l’ensemble, les habitudes changent. Avant, les habitants du quartier ne venaient pas ici, c’était un peu honteux de venir dans une école de filles.

Quels sont les besoins de votre école ?

Le plus important, c’est un bâtiment pour ne plus avoir à partager les locaux avec l’école de garçons. Nous avons aussi besoin d’un laboratoire de sciences et d’eau potable, de creuser un puits par exemple. Je suis obligée de demander aux élèves de ramener de l’eau potable de chez elles pour pouvoir boire à l’école. Nous avons bien une citerne, destinée à entretenir les plantes de la cour, mais je ne la remplis plus, [car quand je le fais], les élèves viennent boire et tombent malades.

Et l’électricité ?

Il n’y a pas d’électricité dans ce quartier. Lorsque l’on y installera l’électricité, j’en demanderai pour l’école. Mais pour le moment, ça ne sert à rien.

Est-ce que vous pouvez nous parler de l’action d’AFRANE auprès de votre école ?

Au début, j’ai demandé de l’aide à AFRANE, mais à ce moment-là l’association ne pouvait pas faire grand-chose. Elle a quand même invité les professeurs de Bibi Hafassa aux formations qu’elle faisait. Grâce à AFRANE, les professeurs sont contents, ils ont appris à préparer leurs cours, et les formations d’AFRANE sont plus adaptées à leurs besoins. AFRANE donne aussi du matériel pour le laboratoire, et des livres pour la bibliothèque. [Pour l’instant] les livres sont dans mon bureau et les élèves viennent les utiliser.

Qu’est-ce qui vous plait dans votre travail ? Et quelles sont vos plus grandes difficultés ?

J’aime accompagner les professeurs dans leurs parcours de formation. Comme AFRANE, je les aide, je les accompagne, j’identifie avec eux leurs problèmes et je les aide à les dépasser. J’aime aussi les relations avec les parents d’élèves, avec les différentes institutions et les organisations, et bien sûr avec les élèves. J’aime aussi m’occuper de l’hygiène dans le bâtiment et la santé des élèves. Mais c’est difficile. Toutes les fins de mois, les élèves nettoient l’école.

Mais le lendemain, c’est comme si rien n’avait été fait, la poussière, le vent… Et comme les bâtiments sont partagés entre deux écoles, je ne peux pas faire grand-chose pour arranger l’état des bâtiments. Chaque année j’achète des roses pour la cour, mais soit elles deviennent grises à cause de la poussière, soit elles sont cassées par les élèves, je n’en vois que rarement la couleur. Je n’arrive pas à avoir des bâtiments propres, ce sera mieux quand l’école aura ses propres bâtiments. Il y a des classes dehors, les professeurs ont 45 élèves dans la classe et n’arrivent pas à appliquer leurs programmes. Et puis dans ce quartier, il y a des familles très pauvres où les filles ne vont pas à l’école parce qu’elles aident leur famille.

Comment envisagez-vous l’avenir pour l’éducation des filles en Afghanistan ?

Maintenant, c’est déjà beaucoup mieux qu’avant. Il y a quelques années, on recevait des roquettes et les écoles étaient vides. Aujourd’hui, les filles sont très intéressées par l’éducation. Si la situation ne se dégrade pas, c’est bien, elles peuvent aller à l’école. Quand j’ai été élève, il y avait très peu d’écoles, et on devait préparer le concours d’entrée à l’université toutes seules. Maintenant, il y a beaucoup d’écoles pour les filles, et on les aide à préparer le concours pour accéder à l’université, ça a beaucoup changé, c’est bien.

Et pour votre école ? Quel est votre plus grand rêve pour Bibi Hafassa ?

D’abord, je l’ai dit, un bâtiment. Et aussi, j’attends le jour où tout le monde prendra ses responsabilités pour l’éducation des enfants. Il y a des gens qui ne respectent pas les règles. J’ai envoyé les règlements du rectorat à tous les parents de nos élèves. Un jour, un père est venu pour se plaindre parce que sa fille n’avait pas été

Début de la construction de la bibliothèque

Début de la construction de la bibliothèque

acceptée aux examens parce qu’elle avait trop d’absences. C’est écrit dans le règlement. Le père s’est plaint, et je lui ai expliqué qu’il devait faire attention à ne pas retenir sa fille à la maison pour qu’elle puisse venir à l’école. Il a menacé de retirer sa fille, je ne peux pas l’en empêcher, mais je lui ai dit que s’il le faisait, il détruirait sa vie. Les gens connaissent les règles, mais ne veulent pas les respecter. Même le recteur parfois me fait des ennuis parce que je respecte les règles et lui ne veut pas. C’est très important que les gens prennent leurs responsabilités pour l’éducation.

 

Propos recueillis par Victor Nouis et Hassine Mohaib

 

Campagne de collecte : Aidez Zarlasht Mirzoda à construire une bibliothèque