Médecin en Afghanistan et 1929 jours
par Régis Koetschet
L’engagement des forces françaises en Afghanistan a suscité de nombreux ouvrages (témoignages, stratégie, géopolitique). Près de cinq ans après leur retrait, cette floraison se poursuit. On retiendra deux livres parus récemment : Médecin en Afghanistan : journal de marche d’un médecin militaire ordinaire en opération extérieure par Étienne Philippon aux éditions Lavauzelle et 1929 jours par Nicolas Mingasson aux éditions des Belles Lettres.
Un médecin militaire en Afghanistan
Rappelant en avant-propos que cinq infirmiers et brancardiers secouristes français sont morts en Afghanistan, le médecin chef Philippon raconte avec humilité et sincérité sa mission : six mois en OMLT (operationnal mentoring and liaison team) au sein d’un kandak (1) de l’armée afghane dans le district de Surobi. Une dualité apparaît entre les conditions de vie parfois un peu décalées des éléments français (séquence de préparation dans un village afghan reconstitué en Bavière, BFMTV et France 24 en continu, clips musicaux d’une chaine polonaise « pour les légionnaires », colis de charcuterie, liaison Skype quasi quotidienne) et celles nettement plus précaires des Afghans (hygiène limite) même si elles se rejoignent en opération ou dans la menace des IED (engins explosifs improvisés).
Le parcours du chef afghan du kandak a épousé les sinuosités de l’histoire récente de son pays : pachtoune de Djalalabad, il a combattu les modjahedin jusqu’aux derniers jours de l’armée de Nadjibullah ; sous le régime tâleb, il devient paysan et vendeur de vêtements ; en 2007, il rempile au sein de l’armée avec un grade de lieutenant-colonel et un Tadjik d’Herat comme garde du corps.
Si le « mentoring » (2) ne convainc pas pleinement l’auteur (10 % de satisfaction pour 90 % de déception), il relève le courage et la discipline des soldats afghans qui fonctionnent surtout sur leurs ressorts traditionnels, au prix de quelques rigidités (caporalisme), arrangements (une corruption « culturelle ») et dérives (la compagnie compte nombre de consommateurs de drogue).
Dans la beauté des paysages de la Kapisa, le médecin chef se montre désireux de contacts et de signes de proximité avec ses « mentorés » : partage des fruits comme les pommes et les grenades « fruit sacré dans le coran et dont il est mal vu de faire tomber un grain », lieu de prières avec ses quelques tapis et fleurs entourés de barbelés, des relations fondées sur la confiance plus que sur l’obéissance, le goût pour la blague des Afghans, leur côté mauvais perdant, leur réticence à se déshabiller pour des consultations médicales.
« Les Afghans sont des noceurs, des poètes, des chanteurs, des bons vivants. Est-ce la raison pour laquelle les Français s’entendent si bien avec eux ? » s’interroge l’auteur, attaché au succès de sa mission mais sans trop d’illusion sur sa portée.
Un journaliste couvrant l’engagement des forces françaises
Tout autre est le propos de Nicolas Mingasson. Journaliste, il s’est beaucoup investi dans l’engagement des forces françaises (couverture de presse pendant six mois en 2010 en Kapisa, cosignature avec Christophe Tran Van Can en 2011 du Journal d’un soldat français en Afghanistan aux éditions Plon). Dans 1929 jours – décompte effectué par la mère d’un soldat tué -, il aborde le douloureux chapitre des victimes de ce conflit. « De 2001 à 2011, l’on estime qu’environ 70 000 soldats français ont servi en Afghanistan. Parmi ceux-ci, 90 sont morts (au combat, d’accident, de causes naturelles ou par suicide – trois ou quatre suicides sont avérés selon l’auteur) dont 85 officiellement « morts pour la France » et 700 autres sont blessés ».
Pour « l’Afgha, cette mission qu’il ne fallait pas rater » comme on disait dans les unités, il y aura un avant et un après Uzbin (embuscade faisant 10 morts en août 2008), l’année 2011 se révélant particulièrement meurtrière.
Pendant deux ans, l’auteur a accompagné les familles des victimes, parents, compagne, frères et sœurs, enfants, dans leur deuil. Un long cheminement qui passe par l’évocation du départ en opération extérieure, dans l’exaltation, le silence et la peur, le retour des missions lointaines et incertaines, l’annonce de la disparition entre sidération et déni, colère et douleur (« Tout explose, il y a un clash qui déchire votre vie en un avant et un après. Vous êtes là, physiquement, mais votre esprit part ailleurs »), la reconnaissance de la nation dans des cérémonies officielles vécues parfois avec distance. Et, au bout, ce décompte des 1929 jours qui ne finira jamais. Une grande dignité nourrit de part et d’autre ce témoignage.
L’Afghanistan surgit parfois au détour des pages : l’attrait de la mission et de ses risques dans un pays « béni » pour les uns, plein d’incertitude et d’angoisse pour les autres comme le relève Nicolas Mingasson, les « chouras » ces « missions de merde » compte tenu de la taille du périmètre à sécuriser, le déficit d’information pour les familles sur le contenu et le sens de cet engagement, les Tâlebân à qui on va faire « bouffer la poussière ».
Une lecture poignante où « l’Afgha » apparaît si proche et si lointain. Pour toujours.
(1) Mot d’origine pachto utilisé dans l’armée afghane pour désigner un bataillon
(2) Relation de conseilleur (le mentor) à conseillé
Médecin en Afghanistan : journal de marche d’un médecin militaire ordinaire en opération extérieure, par Étienne Philippon, éditions Lavauzelle, 26 €
1929 jours, par Nicolas Mingasson, éditions des Belles Lettres, 23€
Cet article est originellement paru dans le n° 157 des Nouvelles d’Afghanistan. Vous pouvez vous abonner ou commander un numéro en cliquant sur les liens ci-après.
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