Editorial du N° 181

Un étau qui se resserre

C’est toujours un moment intimidant que celui où l’on rédige, pour la pre­mière fois, l’éditorial d’une revue de plus de 40 ans d’âge. Même si cette revue on la lit depuis si longtemps et que l’on a parfois écrit dans ses pages pour rappeler notre engagement pour l’amitié franco-afghane depuis tant d’an­nées

Si je vous adresse ces quelques mots c’est que, le 14 mai, j’ai été élu Pré­sident d’Afrane succédant à Nil Pitrat qui, depuis quelques mois hors de France pour des raisons professionnelles, ne pouvait poursuivre son mandat de Pré­sident. Ce mandat avait été entamé dans les circonstances douloureuses du décès de Philippe Bertoneche l’année dernière. Je voudrais rendre hommage à ce dernier qui, pendant près de dix ans, a assumé, dans des moments parfois difficiles, la présidence d’Afrane et contribué à porter le message d’amitié et de solidarité qu’incarne Afrane depuis plus de 40 ans.

Comme l’indiquait Etienne Gille dans son dernier éditorial, le printemps n’est pas venu et les nouvelles que nous recevons d’Afghanistan sont bien sombres, notamment dans le domaine de l’éducation où Afrane a fait porter depuis toujours, et tout particulièrement depuis 20 ans, ses efforts. En effet, de nouvelles instructions émanant de Kandahar ont été publiées, visant à limiter l’action des acteurs internationaux dans l’éducation. Ces mesures, assez impré­cises dans leurs modalités, ont été reportées mais il reste que l’on sent peu à peu se resserrer encore le poids du pouvoir sur ce secteur majeur pour le pays et déjà très impacté par la prohibition de l’enseignement pour les filles dans le secondaire et le supérieur.

Après les manifestations nombreuses liées au centenaire de la relation (de l’amitié) franco-afghane et celles organisées à l’occasion du Naorouz, je sens que la détermination de faire vivre ce message d’amitié ne s’est pas dissoute. L’espoir n’est pas retombé et je veux croire, et nous tous y croyons, que nous allons pouvoir poursuivre notre action en Afghanistan même, et également apporter à ceux qui sont en France le même message d’amitié et de réconfort.

Ce numéro des Nouvelles marque ainsi nos inquiétudes quant à la situa­tion des femmes ou celle de la justice. Il fait part des réflexions de Mike Barry (comme toujours profondes et parfois acides) sur le discours des talibans mais également décrit l’émergence d’expressions plus libres utilisant des techniques traditionnelles comme la broderie ou le “street art”… C’est sans doute la per­sonnalité d’Al Afghani (l’énigme peut-être) qui, dans ce numéro (et en pendant de l’article de Mike Barry), nous permettra de réfléchir à toutes les ambivalences que nous portons dans un monde ô combien troublé.

Il reste que dans cet éditorial, mon premier, je voudrais saluer ceux qui tra­vaillent à cette revue (d’une qualité unique en Europe) qui s’attache à parler de l’Afghanistan et à le faire de façon ouverte, diverse et engagée, acceptant les contradictions, les oppositions et les limitations mais toujours ferme dans la volonté de traduire une réalité : celle de l’Amitié franco-afghane.

Eric LAVERTU
Le 29 juin

 

Sommaire du N°181

Actualité

La mort progressive des femmes afghanes
par S. R.
En Afghanistan, sous le régime des talibans, les conditions générales de la vie sociale, et en particulier la situation des femmes, se détériorent de jour en jour, mais cette détérioration devient de moins en moins visible. Une habitante de Kaboul nous parle de son quotidien.

Le destin d’un juge
témoignage
Parmi les personnes dont la vie est devenue particulièrement problématique après l’arrivée au pouvoir des talibans figurent les juges. Le témoignage de l’un d’entre eux qui nous est parvenu est particulièrement poignant. Il a réussi récemment à se réfugier à l’étranger aussi nous pouvons publier son récit sans lui faire encourir de risque.

Opinion

La vision hors norme des talibans
par Michael BARRY
Les talibans sont-ils un mouvement politique au même titre que les autres ? Pour Michael Barry, la réponse est négative. Ils se placent sur un autre plan, millénariste. Il n’est donc pas possible de négocier avec eux comme avec d’autres forces politiques. M. Barry va plus loin. Pour lui, c’est même le caractère musulman de leur doctrine qu’il faut mettre en cause. Les lignes qui suivent sont une synthèse d’une intervention de l’auteur faite les 17-18 mars 2023 au Princeton International Seminar on Afghanistan, organisé par le Liechtenstein Institute for Self-Determination.

Art

S’exprimer par la broderie
par Pascale GOLDENBERG
Malgré la situation, l’association allemande DAI (Deutsch-Afghanische Initiative) de Fribourg en Brisgau poursuit son aide aux femmes de quelques villages sis au nord de Kaboul, un peu avant Tchârikâr. Ces femmes brodent des carrés de tissu que l’association revend en Europe. Les créations, souvent très réussies, reflètent les préoccupations de leurs auteures, et aussi, aujourd’hui, leurs frustrations.
Vous pouvez lire cet article sur notre site.

Shamsia HASSANI
Le Street Art pour éveiller les consciences
par Geoffrey SCHOLLAERT
Mieux que quiconque, Shamsia Hassani a su créer un univers graphique où la femme apparaît, non pas d’abord comme une victime, mais sous les traits de figures aériennes, gracieuses, oniriques et militantes, porteuses des aspirations profondes de la part féminine de la société.
Voici son parcours.

Histoire

Le recensement de 1979
par Augustin de BENOIST
Expert de l’Organisation des Nations Unies, Augustin de Benoist a été missionné de 1977 à 1981 auprès des autorités d’Afghanistan pour organiser le recensement de population de 1979. Il retrace pour nous les contours de cette mission et évoque quelques souvenirs, notamment ses rencontres avec les nomades.

Un thé vert avec

Guillaume Fourmont, L’Afghanistan d’en bas vu d’en haut
par Régis KOETSCHET
Rédacteur en chef des revues Moyen-Orient et Carto, Guillaume Fourmont explore les mondes moyen-orientaux en s’intéressant notamment à ce qui les façonne : « les sociétés, le temps long, les signaux faibles ». Régis Koetschet s’est entretenu avec lui de son lien avec l’Afghanistan.

Dernières nouvelles

Chronologie (mars-mai 2023)
Ils nous ont quittés : Homayoun Shâh Assefy, Jean-Gabriel Jacquemond
Dernières publications
Notes de lecture

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