Cet article est issu du N°188 des nouvelles d’Afghanistan. Il s’agit d’une synthèse de différents rapports et entretiens
Le 20 janvier 2025, le Président Trump a signé un ordre exécutif décidant l’interruption pendant 90 jours de l’aide américaine extérieure, incluant l’aide humanitaire. Les ONG ont commencé dans les jours suivants à recevoir les SWO (Stop Work Orders) signifiant l’obligation pour l’ONG le recevant d’arrêter les projets en cours, car l’aide, pourtant précédemment accordée, ne serait pas versée. La motivation derrière cette décision est la revue en détail des financements pour s’assurer qu’ils correspondent à la politique du Président, à savoir, « les Etats-Unis d’abord ».
Le 28 janvier, le Secrétaire d’Etat a déclaré qu’une exception existe pour l’aide humanitaire vitale, c’est-à-dire celle qui concerne les médicaments et services médicaux sauvant des vies, l’aide alimentaire, ainsi que les frais administratifs raisonnables pour fournir cette aide. Sont exclus néanmoins les services médicaux liés aux soins de santé sexuelle et reproductive. Le 7 février, la majorité des salariés de l’USAID ont été mis en congé administratif, complexifiant la possibilité d’avoir des informations précises et claires pour les ONG sur la continuation ou non de leurs projets.
Cette situation touche le monde entier, avec des conséquences dramatiques dans tous les pays subissant des crises humanitaires. Cela impacte aussi de très nombreuses ONG, pas seulement américaines, car désormais le système d’aide est globalisé. Ainsi de nombreuses ONG, même françaises, recevaient des financements américains et doivent désormais licencier ou au moins geler le recrutement de nouveaux personnels.
Pour l’Afghanistan
Au cours des 20 dernières années, l’USAID a apporté une aide importante à la population afghane (photo DR)
L’Afghanistan est le pays au monde ayant reçu le plus d’aide américaine sur la dernière dizaine d’années. Des rumeurs indiquent régulièrement que 45 millions de dollars parviennent chaque semaine aux talibans. Cet argent, appartenant à l’ONU et non aux Etats-Unis, n’est en réalité pas à destination des talibans mais de l’ONU, notamment pour financer l’aide humanitaire. Le montant selon le dernier rapport SIGAR était de 80 millions de dollars pour chaque livraison qui avait lieu en 2023 tous les 10 à 14 jours. Ces livraisons d’argent liquide, indispensable pour l’aide humanitaire, seront peut-être rédui
tes à cause des nouvelles mesures. Selon un autre rapport, publié en mai 2024, sur 38 partenaires américains, 10,9 millions de dollars sont parvenus aux talibans depuis 2021 via différentes sources (impôts, frais de douanes, services publics). Ce chiffre au global doit donc être plus élevé, puisque l’étude ne concerne que 38 des 65 partenaires américains, et aucune autre ONG ou agence de l’ONU. Néanmoins, nous sommes loin des 40 millions de dollars par semaine.
En Afghanistan, les Etats-Unis sont un bailleur majeur. En 2024, ils finançaient 43,9% de l’aide, et en 2025 l’aide américaine devait atteindre 234 millions de dollars, soit 60% des fonds pour l’instant attribués pour l’Afghanistan. La décision du Président Trump a directement provoqué la suspension de l’activité de 50 ONG (afghanes ou internationales). A la suite de cette décision, le marché monétaire a connu de grandes fluctuations, l’afghani chutant de 7,6% par rapport au dollar, ce qui a entraîné une hausse des prix des denrées notamment alimentaires.
Les conséquences exactes ne sont pas encore très claires, puisque l’exception pour les activités vitales est difficile à définir. Ainsi, chaque organisation négocie séparément pour savoir si ses programmes rentrent dans les exceptions.
Les grands secteurs sous interrogation sont les suivants :
- Eau, Hygiène et Assainissement (EHA) :
Est-ce que les services EHA peuvent être considérés comme sauvant des vies ou faire partie du secteur de la santé ? Est-ce qu’un puits qui permet d’apporter de l’eau potable sauve des vies ? 16 ONG devaient recevoir des financements américains pour des projets EHA. Selon l’analyse des besoins, 50% de la population afghane a besoin d’un soutien EHA. L’accès à l’eau potable est essentiel pour lutter contre de nombreuses maladies, dont le choléra. La suspension de l’aide aura donc des conséquences désastreuses pour le pays.
L’accès à l’eau potable est essentiel pour lutter contre de nombreuses maladies, dont le choléra. Le manque d’eau potable devient
chronique. Les enfants sont de corvée d’eau, Kaboul 2024 (Photo DR)
- La santé
Pour 2025, les Etats-Unis devaient financer 11 organisations pour délivrer des services d’urgence et de premiers soins. Bien qu’il y ait une exception pour les soins vitaux, quid des services de premiers soins qui sont essentiels, de la santé maternelle, des campagnes de vaccination, etc. ? De plus, une ONG qui fait fonctionner une clinique complètement sous fonds américains, comment peut-elle distinguer dans les frais de fonctionnement de cette clinique les activités vitales des autres ? Pour l’électricité utilisée pour la clinique, l’accès à l’eau, le salaire des médecins et infirmiers, etc. comment séparer les dépenses ? Certaines ONG ont donc dû fermer des cliniques existantes.
Campagne de vaccination anti-polio 2025. L’OMS met en garde contre la fermeture de 80% des centres de santé d’ici juin (Photo DR)
- Agriculture et sécurité alimentaire
32 millions de dollars ont été donnés par les Américains en 2024 pour l’agriculture. L’interruption risque de provoquer un vide et va probablement laisser de nombreuses familles sans ressources, augmentant le nombre total de personnes dans le besoin. La période de janvier à mars est la période où l’on commence à cultiver le maïs, certains légumes et le riz notamment. Ainsi, le SWO a un effet direct sur toute l’année en impactant ne serait-ce qu’une saison. Les conséquences seront probablement visibles à partir du mois de juin de cette année.
- Protection
Les programmes de protection concernent notamment les abris d’urgence pour les personnes victimes de violence ainsi que pour les enfants non accompagnés. En 2025, 14 organisations devaient recevoir un soutien américain pour ces actions. Cela touche en premier lieu les femmes et les jeunes filles, les plus susceptibles de subir des violences et de ne pas pouvoir obtenir de protection de la part des autorités. La protection ne fait pas partie des exceptions à la suspension de l’aide.
- Education
L’éducation est un secteur qui ne sauve pas des vies selon la définition américaine. Or, les données le disent, des enfants hors du système scolaire risquent plus d’avoir des problèmes de santé mentale, mais aussi de travail, ou d’être mariés en étant mineurs.
- Relocalisation
Tous les programmes de « relocalisation », c’est-à-dire d’octroi de visas, ont été interrompus, sauf cas particuliers. Cela signifie que le système américain n’accepte plus de nouvelles demandes de la part du HCR (Agence de l’ONU pour les réfugiés), d’ONG ou d’autres Etats. Cela affecte au moins 10 000 Afghans qui avaient déjà reçu un accord pour une relocalisation aux Etats-Unis, et 40 000 en attente. Cela les oblige à attendre plus longtemps, notamment au Pakistan ou en Iran, deux pays qui ont indiqué reprendre les opérations d’expulsion des Afghans. Les demandes de SIV (un programme pour les Afghans ayant travaillé pour les Américains notamment dans le domaine militaire) continuent mais les avions habituellement affrétés pour les relocaliser aux Etats-Unis ont interrompu leurs vols.
Quel futur ?
En Afghanistan, l’USAID finançait 43,9% de l’aide en 2024 (Photo DR)
Même pour les programmes qui font partie des exceptions, les fonds américains ne semblent pas envoyés aux organisations. Certaines organisations sont particulièrement sur la réserve et attendent des autorisations expresses pour continuer leurs programmes, autorisations qui ne parviennent pas, tandis que d’autres prennent le pari de continuer leurs activités en considérant que cela entre dans les exceptions, mais sans garantie de paiement.
Un autre secteur impacté qui n’est pas directement de l’aide apportée mais est essentiel pour apporter de l’aide est la collecte de données. Cela ne fait pas partie des exceptions, or sans collecte de données il est difficile pour les ONG de coordonner leur aide, de s’assurer de couvrir les besoins les plus importants dans les lieux les plus démunis, mais aussi de leur permettre de rendre compte de l’utilisation de leurs fonds grâce à des analyses sur l’impact de l’action.
Par ailleurs, la coordination des actions entre les différents acteurs humanitaires s’effectue souvent via des postes spécifiques de coordinateurs. Les ONG se regroupent en clusters (groupes de travail) par thématiques (exemple le cluster éducation) ce qui leur permet de se coordonner. Or, sans le financement de ces postes, que va-t-il advenir de la coordination ? Le ReportHub – site internet qui permet de rendre compte des actions des ONG (120 organisations membres) – a déjà été temporairement suspendu.
Enfin, de plus en plus de bailleurs requièrent des co-financements, c’est-à-dire que par exemple, pour un projet à 1 million de dollars, un bailleur accepte d’en financer 50% à condition qu’un autre bailleur en finance 50%. Les ONG qui avaient obtenu un financement américain et comptaient sur ce financement pour obtenir le co-financement d’une autre partie, risquent de perdre l’ensemble du financement ne pouvant plus désormais prouver le premier financement. Ainsi, dans l’exemple ci-dessus, si l’ONG perd 500.000€ directement des Américains, elle en perd 500.000 de plus ne pouvant plus prouver ce financement.
L’impact de cette suspension de l’aide américaine s’est fait ressentir en partie immédiatement via les arrêts de programmes, licenciements de salariés, etc. mais une partie de son impact ne se fera ressentir probablement que dans les six prochains mois. Avec des fermetures d’ONG, les licenciements vont augmenter le taux de chômage et donc la pauvreté, laquelle augmente généralement l’insécurité, etc. Le 20 avril prochain en théorie la suspension arrivera à son terme. Est-ce que cela signifiera un déblocage des fonds et la reprise comme avant ? Probablement non. Pouvons-nous espérer que certains programmes plus larges que juste l’assistance vitale pourront reprendre ? Espérons que oui.
Mise à jour du 14 avril 2025 :
Récemment, la majorité des ONG ont reçu un ordre d’arrêt définitif de leurs programmes soutenus par l’USAID. Un exemple marquant est celui du Programme Alimentaire Mondial (PAM), agence de l’ONU distribuant principalement de l’aide alimentaire d’urgence, qui a obtenu dans certains pays l’autorisation de reprendre ses projets, mais ce n’est pas le cas pour l’Afghanistan et le Yémen. Ainsi, cela semble définitif, les financements américains sont en grande majorité terminés. Or, du côté des autres bailleurs, une tendance à la diminution des financements est également observée. C’est à une baisse majeure et globale de l’ensemble des financements que l’on assiste. Cela va conduire le secteur à se réinventer : rationalisation des dépenses, priorisation des activités, recherche de nouvelles sources de financements.