Cet article est issu du N°189 des nouvelles d’Afghanistan

Dessiner aujourd’hui en Afghanistan, n’est-ce pas bien futile pour des jeunes filles, dans le contexte actuel ? Bien au contraire, c’est un puissant moyen d’éducation et de libération. Nous relatons ici une expérience très originale d’échange entre des jeunes Français et des jeunes Afghanes par dessins interposés, initiée par AFRANE. Inutile de connaître la langue de l’autre pour se parler et comprendre les rêves et les espoirs des uns et des autres.

Les autorités ont beau leur avoir fermé la porte de l’école, les lycéennes d’Afghanistan, dès qu’elles en ont la possibilité, continuent de poursuive leurs études avec une passion iné­branlable. Et si, la nécessité étant mère de l’invention, elles répondaient à leur situation amère par une recherche déter­minée de nouveaux moyens d’élargir leurs horizons ? C’est le cas de plus de soixante filles âgées de treize à dix-neuf ans qui, dans un coin discret de Kaboul, suivent des cours de dari et de maths, mais aussi, depuis deux ans, des cours de des­sin. Elles en ont fait la demande parce qu’elles éprouvaient le besoin de s’exprimer plus amplement pour sortir de leur cadre de vie très contraignant. Car, selon leurs propres pa­roles, le dessin libère l’imagination, et « l’imagination est l’un des plus puissants outils de l’esprit humain« .

Ces cours sont assurés par une excellente professeure qui, étant parfaitement à l’écoute de ses élèves, a su faire de sa salle de classe un havre sécurisé pour ces jeunes Afghanes qui font tout pour s’y rendre régulièrement en dépit des interdits et des imprévus quelles subissent tous les jours.

Grâce à ces cours, les filles ont pu voir le dessin comme moyen d’apprendre et d’interagir avec le monde. En conséquence, il y a un an, avec l’appui de leur professeure, elles ont exprimé le désir de faire un échange de dessins avec des élèves de leur âge en France. Elles cherchaient à vivre de nouvelles expériences à travers des contacts avec des jeunes d’un autre pays, en particulier la France. C’est alors qu’on m’a approchée pour savoir si, étant professeure à la retraite depuis peu, j’aimerais coordonner bénévolement cet échange.

J’ai donné mon accord et, me servant de mes contacts dans le domaine de l’enseignement, j’ai trouvé une professeure d’arts plastiques qui était partante pour réaliser ce projet.

Elle y voyait des bénéfices pour ses propres élèves et a commencé par inviter un collègue d’histoire-géographie à venir présenter l’histoire et la situation actuelle en Afghanistan à ses classes. Ensuite elle a recruté pour participer à l’échange plus de trente élèves, filles et garçons, de la seconde à la terminale, ce qui correspondait à la tranche d’âge des Afghanes.

Mieux se connaître par le dessin d’autoportraits

Alors qu’un échange de dessins au lieu de lettres ne semble peut-être pas évident, la professeure française a su s’y prendre en suggérant qu’on choisisse des thèmes à tour de rôle.

Elle a demandé à ses élèves par quel thème ils souhaitaient lancer le projet, et pour eux, l’autoportrait s’est imposé comme un beau moyen de faire une première rencontre avec leurs partenaires afghanes. La professeure afghane a accueilli la proposition de ce premier thème avec une certaine hésitation. Elle a attendu la transmission numérique des dessins réalisés par des Français et les a distribués à ses élèves avant que celles-ci ne répondent au défi. Elles ont par la suite réussi à créer de magnifiques dessins qui expriment leur personnalité à travers le regard, les habits et souvent les gestes de leurs mains. En fait les mains jouent un rôle important dans les autoportraits des Afghanes. Selon leurs propres mots, cette première étape de l’échange leur a permis de prendre confiance en elles et de mieux reconnaître le pouvoir qu’elles détiennent entre leurs mains. « Grâce à nos mains nous pouvons mieux avoir confiance »


Thème de l’autoportrait choisi par les élèves. Une expression de leurs personnalités à travers, en particulier, les gestes des mains
(Photos Kate Peluse)

Depuis mars 2024, les élèves français et afghanes ont échangé des dessins sur cinq thèmes et sont sur le point de s’envoyer leur travail sur un sixième. Quand, vu la continuité de l’échange, on m’a demandé d’écrire un article pour Les nouvelles d’Afghanistan, j’ai pensé que ce serait l’occasion d’en faire le bilan. Pour ce faire j’ai rédigé un questionnaire d’abord en français puis en persan. Son objectif principal était de demander ce que les élèves des deux pays estimaient avoir appris grâce à l’échange. Il faut préciser que le persan n’est pas du tout ma langue maternelle. J’ai eu tout simplement le coup de foudre pour cette langue il y a huit ans quand je me suis mise à apprendre quelques phrases utiles avant de faire un voyage en Iran. Je n’ai cessé de l’étudier et c’est donc grâce à mes compétences, bien que limitées, dans ce beau parler, que j’ai pu lire en VO les réponses des filles afghanes à mes questions sur leur satisfaction concernant l’échange et sur ce qu’elles en ont appris jusqu’à présent.

Pour ce qui concerne les élèves français, leurs réponses au questionnaire étaient sincères et réfléchies et témoignent d’une évolution dans leur pensée et dans leur art. Au sujet du premier thème, les autoportraits, ils disent avoir été très impressionnés par la qualité des dessins des Afghanes, par leur attention au détail et par leur maîtrise d’un style réaliste, rendu habilement en noir et blanc avec le crayon ou le stylo. « Je ne m’attendais vraiment pas à ce niveau » avoue l’un d’eux. « J’ai été frappé par le fait que même si elles ne disposent pas forcément d’autant de matériel que nous, leurs dessins sont emprunts d’émotion et d’expressivité » dit un autre. Avec ce projet ils pensent plus à la réalisation de leurs propres dessins afin de les rendre plus détaillés, avec le souci de représenter leurs idées avec plus de précision. « J’ai appris à réfléchir plus profondément sur la réception de mon travail, sur ce qu’il transmet et sur la façon dont il est perçu.»

Réaliser des BD

Ils ont aussi commenté les thèmes abordés. Après l’autoportrait, souhaitant savoir plus sur la vie des Afghanes, ils avaient proposé de faire une bande dessinée illustrant une journée typique ou bien un évènement clé dans leur vie. Là encore les Afghanes ont attendu de recevoir des exemples d’histoires personnelles racontées par une série d’images avant de se lancer dans la tâche, mais de nouveau elles ont réussi avec brio. Un Français a affirmé que le travail en BD a été son préféré « car on peut raconter une histoire sans utiliser des mots ». A travers ce thème il a fait la découverte des « messages puissants » cachés dans les dessins des Afghanes, lui permettant d’observer « à quel point leurs vies sont différentes des nôtres alors que nous sommes tous des adolescents d’âges équivalents. »

Les Afghanes, quant à elles, ont déclaré avoir beaucoup gagné au contact de la créativité et des nouvelles techniques utilisées par leurs partenaires français. Elles expérimentent désormais de nouveaux styles et aussi de nouveaux supports artistiques comme l’aquarelle ou le pastel à l’huile afin d’introduire plus de couleur dans leurs compositions.

Leurs réponses au questionnaire soulignent avant tout l’intérêt pour elles du « dessin imaginatif ». J’ai demandé des précisions sur ce point à leur professeure qui m’a expliqué qu’avant la mise en place de l’échange, ses élèves avaient privilégié « l’hyperréalisme ». Elle a évoqué l’exemple de l’autoportrait, remarquant que ses élèves ont fait leurs dessins dans un style très réaliste tandis que les élèves français ont utilisé différents styles imaginatifs.

Un rêve de stabilité et de liberté

Cependant, pour les Afghanes, le dessin imaginatif est d’une bien plus grande importance qu’une simple question de style. En tant que moyen de transformer la réalité par l’imagination, ce genre de dessin a la capacité d’apaiser l’esprit et de redonner l’espoir. Les témoignages en sont multiples. Plusieurs d’entre elles ont écrit que « le dessin imaginatif donne davantage d’espoir à l’être humain puisque l’imagination permet à l’être humain de rêver d’un monde irréel et même d’envisager un avenir ». Ainsi ce type de dessin les motive, leur donne « plus envie de poursuivre leurs études à la maison et de faire des efforts en général », comme s’il offrait une sorte de bouée de sauvetage pour garder en vie leurs aspirations. Enfin, cet échange représente une ouverture vers le monde.

Après l’autoportrait et la BD, le thème proposé par les Afghanes a été « la maison de ses rêves ». Ce thème, très populaire chez les Français selon le questionnaire, a marqué une nouvelle étape dans le rapprochement des deux groupes d’élèves. Les Afghanes ont été particulièrement charmées par certains foyers insolites conçus par leurs amis en France, comme par exemple ce bateau pirate, auquel une Afghane a répondu avec une belle cabane nichée dans un arbre ! Une élève française a remarqué que la différence entre les maisons imaginées par les Afghanes, « représentées dans un cadre d’apaisement et de tranquillité », contrastent avec celles conçues par les Français, « parfois extravagantes, modernes, excentriques ». Cette élève en a tiré la conclusion que, tandis qu’en France on a tendance à prendre pour acquis sa vie confortable et libre, le contexte politique des Afghanes fait qu’elles rêvent « simplement de stabilité, de liberté ». Cette même élève estime « avoir beaucoup appris et gagné à travers cet échange ». Elle a été émue par le fait de découvrir à travers l’art des Afghanes « un peu de leur personnalité et de leur histoire » et pense qu’il est « très important de faire en sorte de conserver un lien avec elles ou de leur permettre de développer des liens avec l’extérieur et de leur permettre d’exercer encore leur passion malgré l’oppression et l’instabilité dans lesquelles elles vivent ». Cette élève montre ainsi qu’elle a bien saisi la perspective des Afghanes pour qui l’échange permet de se sentir moins isolées, d’avoir des « compagnons » dans le domaine de l’art, mais aussi, évidemment, dans le partage des rêves.

La dernière proposition de thème, aussi mise en avant par les Afghanes, a été de faire un dessin, d’après une image existante, d’un arbre dans un paysage montagneux. Créer les variations sur l’arbre a réuni tous les élèves des deux pays dans leur appréciation de la nature. Une Afghane a écrit : « Les racines de l’arbre sont ancrées dans la terre et ses branches s’étendent vers le ciel, ce qui montre le lien entre la terre et le ciel et aussi le lien entre l’être humain et la nature et l’univers entier. » Pour elle, les dessins de l’arbre, qu’ils soient ceux des Français ou des Afghanes, portent le même message. C’est un message de stabilité, de durabilité, de pérennité auxquelles il ne faut jamais cesser de croire même dans les conditions les plus difficiles.


Autre thème, celui de l’arbre : le modèle à gauche et deux interprétations. « Un message de stabilité, de durabilité, de pérennité auxquelles il ne faut jamais cesser de croire même dans les conditions les plus difficiles » (Photos Kate Peluse)

Comme l’affirme la professeure afghane, « l’art est la voix de l’âme ».

Ces élèves de France et d’Afghanistan parviennent à s’exprimer et à se faire comprendre à un niveau étonnamment profond sans échanges verbaux. Le véritable échange repose sur le fait que ces deux groupes, si éloignés dans l’espace et par un contexte culturel et social différent, se respectent et s’inspirent les uns des autres.

Kate Peluse

À la fois professeure d’anglais à la retraite et artiste, Kate Peluse est adhérente et bénévole pour AFRANE depuis 2023. Elle a réalisé de nombreux dessins dans le cadre du projet de formations en ligne mené par AFRANE.