Témoignage d’une jeune femme résidant à Islamabad

Certains s’étonnent que les migrants afghans en Europe soient essentiellement des hommes. Sans doute ignorent-ils que les femmes qui se réfugient au Pakistan ou en Iran ont le plus grand mal à obtenir des visas dans un pays européen. Elles se retrouvent dans des situations très précaires.

Cet article est issu du N°190 des nouvelles d’Afghanistan

Ma sœur cadette et moi, nous habitons dans cette ville de­puis un an. C’est notre deuxième séjour au Pakistan depuis août 2021. La première fois, c’était trois jours après la chute de Kaboul. Affolées et terrorisées par l’arrivée des talibans, nous avions pris la fuite et étions entrées au Pakistan par voie illégale pour nous installer à Quetta. Là, nous avons vécu dans des conditions extrêmement difficiles, mais nous avons pu prendre entre autres des cours d’anglais. Nous espérions trouver un moyen depuis le Pakistan pour partir nous instal­ler ailleurs. Durant notre premier séjour au Pakistan, nous avons tenté de faire une demande de visa pour l’Allemagne. Mais notre demande n’a pu être traitée car nous ne possé­dions pas de passeport et étions entrées sans visa au Pakis­tan. Ma sœur et moi, nous fûmes contraintes de rentrer en Afghanistan pour obtenir des documents officiels. La procé­dure administrative pour obtenir le passeport afghan puis le visa pakistanais a duré environ un an. Nous avons pu repartir pour le Pakistan en 2024 et cette fois-ci nous nous sommes installées à Islamabad. Nous avons fait une demande de visa pour l’Allemagne. Nous attendons depuis presque un an une réponse de l’ambassade allemande.

Une rue de Quetta

Quatre années d’incertitude

Cela fait quatre ans que nous vivons dans l’incertitude. Cela a commencé dès le retour au pouvoir des talibans en Afgha­nistan. Nous ne sommes en sécurité ni dans notre pays, ni ici. Si on était libre, j’aurais fini mes études à l’université de Kaboul. J’étais en deuxième semestre de ma formation de licence quand les talibans ont repris le pays. Ma vie a basculé en une nuit. Une transformation entière. Ma sœur était au ly­cée en classe de seconde. Si la patrie n’était pas tombée, ma sœur aurait à présent son bac et pourrait intégrer l’université comme elle le souhaitait. Mais aujourd’hui, elle est privée de tout cela, comme toutes nos sœurs afghanes.

La situation des exilés afghans au Pakistan s’aggrave de plus en plus. Les expulsions massives des Afghans y compris les femmes et les enfants ont augmenté. Nous ne sortons pas de notre lieu de résidence de peur des arrestations. Je ne vois la lumière du soleil qu’à travers le balcon de notre chambre d’hôtel. Il y a quelques jours, la police cherchait les réfugiés afghans dans les rues, les parcs et au bazar. Actuellement, ils vont même de maison en maison. Cette chasse à l’homme est plus visible dans des régions telles que Karachi Company ou Faisal Town où vivent un grand nombre d’Afghans. Des policiers en civil sont présents dans ces quartiers pour iden­tifier les migrants sans papier et ceux ayant un visa expiré. Notre grand souci vient de ce que la procédure de renouvellement du visa pakistanais est arrêtée depuis presque trois mois pour les ressortissants afghans. C’est pourquoi un grand nombre d’exilés au statut régulier sont devenus ainsi ‘illégaux’ !

2024, des migrants afghans expulsés du Pakistan entassés dans des camions avec tous leurs biens

La police est partout

Cette situation nous désespère de plus en plus. Dans les premiers mois suivant notre arrivée à Islamabad, je suivais des cours d’anglais et d’allemand en distanciel alors qu’aujourd’hui je n’ai plus l’énergie de conti­nuer. La dépression ne me quitte pas. Cette chambre me paraît comme une prison : je ne peux ni sortir, ni rester tranquille à l’intérieur. Nous habitons dans une guest house, avec six familles afghanes. Nous attendons tous de pouvoir partir ailleurs, dans un pays qui nous donnerait l’asile et où on pourrait vivre sans crainte de la police. Mais tout est incertain. On ne sait pas ce qui nous arrivera. D’un côté, les autorités pakistanaises ont suspendu la procédure de renouvellement du visa pour les exi­lés afghans. D’autre part, les ambassades des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord ne répondent pas aux demandes déposées par les Afghans en danger au Pakistan. Certains pays dont l’Allemagne et les Etats-Unis ont même suspendu le traitement de ces dossiers. Abandon­nées par tous, nous risquons l’arrestation et l’expulsion vers l’Afghanistan.

Une de mes cousines vit la même chose. Son mari, pro­fesseur d’université, s’est réfugié au Canada après la chute de Kaboul. Ma cousine s’est installée au Pakistan avec ses deux enfants de 9 et 4 ans dans l’attente de son visa canadien. La vague d’arrestations de ces derniers mois a changé son quo­tidien. Elle habite à Faisal Town. « La police est partout. Je ne sais comment me procurer le nécessaire » me disait-elle hier. Avec beaucoup de crainte et d’angoisse, elle sort deux ou trois fois par semaine pour faire les courses indispensables.

C’est cette atmosphère de crainte et d’angoisse que nous vivons chaque instant : la peur de la police, d’une arrestation, du renvoi en Afghanistan. Notre dossier de demande d’un visa pour un pays tiers demeure notre dernier espoir. Ah, que l’aube arrive au bout de ces nuits obscures !

2023, une famille afghane retourne au pays. « Les autorités pakistanaises ont suspendu la procédure de renouvellement du visa »