Par Vincent Schneiter*

Un article issu du N°171 des Nouvelles d’Afghanistan, spécial « 40 ans d’AFRANE ».

Chaque année à Paris, et parfois dans l’une ou l’autre ville de province, une «caverne d’Ali Baba» s’ouvre pendant quelques jours pour les amateurs d’artisanat d’Afghanistan et d’Asie centrale.

C’’est le résultat de nombreuses années d’expérience d’AFRANE dans la sélection de beaux objets extrême­ment variés et parfois devenus rares : verres de Hérat, poteries d’Istalif, broderies du Katawaz, kilims Taïmani et Aymaq, tissages ouzbeks, tapis turkmènes et baloutches, housses de coussins, feutres du Hazaradjat ou du Wakhan, bijoux de tribus, coffres et chaises du Nouristan, tabourets et petites tables du Kohistan, vaisselle en bois ou en pierre, panneaux sculptés, miniatures, instruments de musique, vêtements et outils traditionnels, et aussi articles de mode contemporaine, etc.

En même temps, ces expositions-ventes apportent une ressource financière importante pour les actions d’AFRANE en Afghanistan, jadis d’urgence économique dans des vil­lages et plus récemment de soutien à des écoles.

A l’occasion du 40e anniversaire de la création d’AFRANE, je vais essayer de retracer une partie de l’histoire de ces ventes (pour les périodes assez longues où je m’en suis oc­cupé).

La première vente de charité d’AFRANE organisée à Paris, boulevard Haussman en 1983

Il y a un peu plus de 40 ans, dans le cadre d’AFRANE en création, j’organisais dans la galerie d’un ami à Montpellier une première vente d’objets d’art et d’artisanat afghans. Saluée par le maire Georges Frèche et le journal Midi Libre, elle permit de financer une aide humanitaire d’urgence à des villages à l’intérieur de l’Afghanistan. L’année suivante, un ami (Louis Vexelmans) importateur d’artisanat afghan me céda, à prix cassés, 40 coffres de Swat en bois de cèdre finement sculpté, en pièces détachées à Salelles-du-Bosc (Hérault). Apportés à Montpellier au domaine de La Valette dans une ancienne forge, grâce à Jean-François Breton directeur de l’ENSAM, je les restaurais après mes heures de travail officiel et les vendais un par un au profit d’AFRANE, avec l’appui d’un militant, Patrick Lagarrigue, disposant d’un bon réseau local d’amateurs.

A partir de 1983, muté professionnellement à Paris, je re­joignis les responsables d’AFRANE, Véra Marigo en tête, pour développer cette source de financement d’appoint à nos missions humanitaires. Toutes les démarches administratives s’effectuaient dans les règles. La vente parisienne intervenait une ou deux fois par an. D’autres se tenaient de temps en temps en province grâce à des comités locaux.

La publicité était d’abord assurée par la distribution de tracts dans le voisinage, beaucoup sur les vitres de voitures. Elle fut complétée plus tard avec des méthodes plus mo­dernes.

Une artiste anglaise, Jill Donald, ayant beaucoup voyagé en Afghanistan, réalisa pour nos tracts un très beau dessin de plusieurs objets d’artisanat (chaise du Nouristan, etc.).

Publicité pour l’une des ventes de charité d’AFRANE dans les années 1990, illustrée d’un dessin de Jill Donald

L’implantation de nos expositions-ventes fut variée. La première à Paris fut dans les locaux commerciaux d’un ami, François Be­nais, 179 Bd Hauss­mann. Une autre, à Amiens, s’installa dans une vaste église gothique désaffec­tée qu’un militant local (Thierry Niquet) s’était fait ouvrir par les autorités compé­tentes. La plus forte recette financière fut réalisée en juin 1985 dans l’entrée de l’église St Germain des Prés à Paris.

Beaucoup de nos ventes se tinrent dans le local qu’AFRANE eut longtemps pour siège, rue Christine à Paris 6e, apparte­nant à Christiane et Alain Thiollier qui nous le louaient pour une somme assez symbolique à côté de leur merveilleuse librairie L’Asiathèque.

Le rôle central était tenu par Véra Marigo (l’une des fon­datrices d’AFRANE avec son mari Alain) qui, depuis un long séjour professionnel en Afghanistan, restait liée à ce pays et gardait une connaissance très complète de ses productions artisanales traditionnelles. Elle savait ainsi choisir les objets les plus intéressants, les plus représentatifs, les décrire, les évaluer, en cultivant les contacts avec les fournisseurs poten­tiels.

Grâce au talent organisationnel, au dévouement et à la patience souriante de Véra, une grande et joyeuse solidarité se manifestait entre les bénévoles se partageant le travail d’étiquetage et d’instal­lation des objets, puis dans l’anima­tion de la vente et les conversations avec les acheteurs. Je me souviens notamment de l’enthousiasme et de la disponibilité de nos « vendeurs » Boris Goiremberg et Anna Maître parmi tant d’autres.

Publicité pour la vente d’AFRANE 2019

Des occasions exceptionnelles

La liste de nos fournisseurs réguliers devint rapidement im­portante : principalement des Afghans, quelques antiquaires français et aussi d’anciens « expatriés » ou voyageurs cédant par solidarité leurs objets rapportés jadis d’Afghanistan.

D’autres occasions surgissaient avec tel négociant afghan de passage, telle boutique repérée à cause d’objets afghans en vitrine. L’argument humanitaire amenait généralement des conditions très avantageuses et toujours en dépôt-vente, c’est-à-dire qu’on ne réglait rien tant que les objets n’étaient pas vendus et qu’on restituait les invendus aux fournisseurs après la clôture de l’exposition-vente.

Je me souviens particulièrement de deux exceptionnelles fournitures de tapis.

L’une survint vers 1985 par mon ami Habib Haider qui connaissait bien un important grossiste en tapis afghans à Hambourg. Habib et moi y sommes allés et avons choisi 80 tapis pour AFRANE dont certains très grands (en franchise de douane grâce à une intervention que j’ai faite auprès d l’administration française) et qu’on ne réglerait qu’après les avoir vendus.

L’autre résultat de mon affectation à l’ambassade de France en Iran en 1986. J’en profitai, avec l’approbation du chargé d’affaires Pierre Lafrance (membre lui aussi d’AFRANE !), pour sélectionner une centaine de tapis chez des commerçants et expédier le lot par avion en fret gratuit offert par un sympathique exportateur iranien de fruits secs. Et bien sûr en franchise de douane française pour motif hu­manitaire.

Ensuite, pendant plus de vingt ans jalonnés d’autres affec­tations à l’étranger, je n’eus plus guère d’opportunité d’aider les ventes d’artisanat d’AFRANE.

Vue partielle de l’une des dernières ventes d’artisanat d’AFRANE dans ses locaux parisiens

Quand en 2009 j’ai pris ma retraite, j’ai trouvé à Paris une très belle et efficace continuation de la vente annuelle d’arti­sanat, préparée et animée par une équipe bien rodée autour de la franco-afghane Mastoura Wasiri de Perthuis, experte en choix esthétiques et rentables (bijoux, vêtements, broderies, céramiques, petits meubles), et de la vice-présidente Cathe­rine Leclercq pour l’organisation générale.

Mastoura, reprenant le flambeau de Véra en 2002, avait précédemment acquis une compétence professionnelle dans la sélection de bijoux ethniques, notamment en provenance de l’Inde. Elle se tourna naturellement vers ce pays pour compléter l’artisanat afghan en certains domaines.

En effet, la disponibilité d’objets proprement afghans al­lant en diminuant, la palette présentée pouvait s’élargir à une région plus vaste dont l’Afghanistan occupait le centre. Ainsi s’ajoutèrent de beaux produits presque similaires ou appa­rentés venant de pays proches : Pakistan, Inde, Iran, Turkmé­nistan, Ouzbékistan. Et le titre de la vente devint « artisanat d’Afghanistan et d’Asie centrale », avec un succès de plus en plus grand.

Ces dernières années, j’ai donc rejoint cette équipe pour m’occuper encore un peu de l’obtention d’objets variés (ta­pis, kilims, broderies, bibelots) auprès des fournisseurs habi­tuels ou nouvellement repérés, ainsi que d’anciens visiteurs de l’Afghanistan apportant des pièces de leurs collections.

De son côté notre ami Marc Roy a régulièrement expo­sé (et merveilleusement commenté) un beau choix de ses propres tapis produits en Afghanistan dans le respect des techniques anciennes et des colorants végétaux.

L’intérêt de ces ventes traditionnelles et régulières d’AFRANE n’est pas seulement financier. Elles occasionnent des échanges culturels (faire connaître et comprendre les origines, significations, usages et techniques de fabrication des objets), une diffusion de livres et documents, et de sym­pathiques rencontres et discussions. Des retrouvailles aussi entre amis de longue date, parfois après des années de perte de contact…

La vente de l’automne 2020 ayant été annulée en raison des circonstances sanitaires, AFRANE pense évidemment à une prochaine fois offrant de nouveau une convergence magique entre la poésie des objets, la verve des animateurs et le bonheur des acheteurs éclairés.

Vincent Schneiter

*Ancien président d’AFRANE

Veuillez retrouver ici le sommaire complet du numéro exceptionnel des Nouvelles d’Afghanistan spécial « 40 ans d’AFRANE ».