Le minaret de Djâm fait partie des monuments mythiques et qui font rêver de l’Afghanistan. D’autant plus mythique qu’il est situé loin de toute zone habitée et qu’il est menacé par les intempéries et l’usure du temps. La cheffe de mission d’AFRANE a pu s’y rendre. Elle nous fait le récit de son voyage et nous partage son émerveillement.

Cet article est extrait du N°187 des nouvelles d’Afghanistan

Les autorisations

Pour visiter des endroits touristiques en Afghanistan en tant qu’étranger il faut obtenir une lettre auprès du ministère de l’Information et de la Culture. Lors de ma première visite à Band-e-Amir et aux Bouddhas de Bâmyân nous avions réussi à faire sans, en expliquant que je travaillais pour une ONG et ne faisait que passer. Depuis les contrôles se sont renforcés. A Hérat, l’équipe de INSO(1) chez qui j’étais hébergée s’était chargée des autorisations. Ainsi, pour la première fois, un de mes collègues a dû demander cette autorisation. Je craignais que cela prenne plusieurs jours voire semaines à obtenir. Finalement, en une journée j’avais l’autorisation. Les personnes disant qu’il est donc facile de faire du tourisme en Afghanistan n’ont probablement pas tort. Obtenir les autorisations est bien plus aisé que pour nos projets.

Il faut tout de même ensuite obtenir l’autorisation locale, en montrant cette lettre du Ministère au Département de l’Information et la Culture de Tchaghtcharân. Nous arrivons un vendredi, je pensais donc devoir attendre le samedi pour obtenir cette dernière autorisation. Mais là encore agréable surprise d’efficacité et de disponibilité : le manager de l’hôtel appelle le responsable qui vient trente minutes après à l’hôtel même. Une photo de mon passeport, une photo de la lettre du ministère, une taxe de 1200 afghanis (1000 en tant qu’étrangère et 100 par accompagnateur afghan) et me voilà parée de la dernière autorisation.

Cela nous facilite grandement la planification, nous pouvons désormais faire l’aller-retour dans la journée. Le chauffeur, recommandé par quelqu’un de confiance, nous propose de partir à 4h du matin. J’accepte.

La route

4h du matin, je suis dans la voiture. La ville dort encore, il fait nuit et froid, c’est l’hiver. Nous arrivons à un premier rondpoint, où les seules personnes éveillées sont les militaires en charge de la sécurité. Etonnés de voir notre petit groupe, ils nous posent quelques questions et nous laissent continuer notre route. A la sortie de Tchaghtcharân, un check-point plus important. Après avoir réveillé leur chef, car une étrangère est présente dans la voiture, les soldats prennent en photo mon passeport, mon visa, l’autorisation du ministère et l’autorisation obtenue par le département sur place. Puis nous pouvons continuer notre route.

Il fait nuit et la route n’est pas goudronnée. Le chauffeur avance donc prudemment, tentant d’éviter les trous ou de les prendre avec douceur. Nous commençons à croiser d’autres véhicules, eux remplis de monde et chargés jusque sur le toit. Ils viennent de Hérat. On m’avait dit que la route vers Hérat n’était pas accessible mais il semble que si finalement.

Vers 5h30 il est l’heure de prier. On s’arrête sur le bord de la route. Un autre minibus fait de même. Le chauffeur pose son patou (2) par terre pour la prière. Une fois celle-ci terminée on reprend la route. Il faut attendre 6h30 pour que le soleil se lève vraiment et permette une meilleure visibilité. Nous sommes en montagne. Tchaghtcharân est à 2200 mètres d’altitude. Les champs paraissent assez grands ; les troupeaux sont conséquents et, chose que je ne crois pas avoir vu dans la province de Bâmyân, il y a des tracteurs. J’en ai déjà vu quelques-uns entre Lâl et Tchaghtcharân et là encore sur cette route nous en voyons plusieurs. Mon collègue de Waras (3) me confirme qu’il y a très peu voire aucun tracteur à Waras pour deux raisons : les terrains sont plus en pente, ce qui rend l’usage du tracteur compliqué, et les terres sont plus petites par exploitant rendant l’usage du tracteur non rentable. Les maisons paraissent aussi de l’extérieur en meilleur état qu’à Waras. Tous ces éléments pour dire qu’à titre de comparaison avec Waras, Tchaghtcharân et ses alentours semblent plus aisés.

Nous commençons à entrer dans une vallée encastrée entre deux falaises. La route est serrée et malheureusement, comme cela arrive souvent, un camion a eu un accident. La route est donc en partie bloquée. En partie parce que si les camions sont dans l’incapacité de passer, les voitures et les motos, elles, le peuvent. Il faut néanmoins manœuvrer habilement pour éviter les camions rangés d’un côté et les falaises de l’autre. Notre chauffeur s’en sort très bien. Enfin on arrive au panneau en dari : « Markaz-e munâr-e Djâm » (centre du minaret de Djâm).

Le minaret

Nous passons à côté d’un hôtel en construction. C’est un hôtel construit par la population locale, parce qu’il y a de nombreux touristes de passage, étrangers ou afghans, et qu’il manque pour l’instant un endroit où dormir. Il y a bien une tchaïkhâna un peu plus haut, mais très petite.

On traverse le village, longe l’eau et le voici, majestueux, le minaret qui n’est en réalité pas un minaret mais une tour victorieuse. Séance photos obligatoire. Les Afghans qui m’accompagnent le voient également pour la première fois. L’un d’eux me dit : je l’ai vu dans les livres, je ne pensais pas le voir un jour en vrai, maintenant c’est fait, j’en suis très content !

Les gardiens du minaret nous approchent, ils sont armés et barbus mais ont le sourire. Ils ont l’habitude des touristes je pense. Ils ne vérifient pas l’autorisation, ils nous emmènent directement traverser le pont pour nous rapprocher de la base du minaret. On longe un chemin escarpé. Entre mon abaya, le voile à bien caler et mon sac, j’ai un peu de difficultés. Le pont est artisanal (deux longs morceaux de bois en longueur, recouverts par d’autres morceaux de bois en largeur et un peu de terre pour faciliter la marche). Ensuite nous traversons un bosquet rempli d’arbres plantés. C’est très paisible comme endroit, on entend les oiseaux chanter, il fait beau, c’est idéal. Puis nous arrivons au pied du minaret. Ici, un membre des services de renseignement contrôle mon passeport, photos et c’est bon.

J’apprends à ce moment que malheureusement il faut une autorisation écrite expresse pour avoir le droit d’entrer à l’intérieur du minaret. Pour des raisons de sécurité, protection et préservation, ils ont limité l’accès à l’intérieur. J’en déduis que seules les équipes présentes pour la restauration du monument ou ayant un intérêt professionnel obtiennent cette autorisation. On se contentera donc de l’observer de l’extérieur.

 

Je fais le tour une première fois et je remarque qu’il n’y a pas de porte : comment rentre-t-on donc ? Là commencent les explications sur le minaret. Les inondations de cette année, inondations qui ont été historiques selon la population locale – jamais il n’y avait eu une telle crue -, ont recouvert, si j’ai bien compris, une partie de la base du minaret de sable et de cailloux, dont l’ancienne porte. Cette inondation a également endommagé une partie des pierres en les rendant friables. Désormais, pour entrer dans le minaret, il y a une petite fenêtre, bouchée par des pierres, qui doit être accessible via une échelle.

Ce qui est aujourd’hui la base du minaret est en partie détruit – on me dit que des personnes sous la république ont volé les pierres – et maintenant elle est recouverte de nouvelles pierres. A d’autres endroits, on observe encore les motifs originaux. En haut, une couronne en bois semble également bien abimée. J’essaye d’avoir plus d’explications sans succès malheureusement.

On m’explique également que la priorité en termes de rénovation serait de renforcer le pilier central qui a été affaibli ou détruit (la traduction n’est pas claire) lors de l’inondation. Or, sans ce pilier, les gardes craignent que le minaret penche de plus en plus voire s’écroule. Un seul organisme est présent pour la restauration et préservation c’est l’UNESCO. Il doit apparemment construire un mur protecteur de 4 mètres de haut, pour éviter les dégâts causés par une potentielle future inondation. II a également retiré des pierres dans la rivière pour faciliter le débit de l’eau.

L’ancienne citadelle

Je m’intéresse à la citadelle que l’on voit sur les hauteurs, qui a l’air en mauvais état. L’UNESCO devait aussi avoir un projet de préservation, mais malheureusement rien n’a été fait pour l’instant. Les gardes m’expliquent qu’avant un tunnel reliait le minaret à la citadelle, en passant sous le fleuve. Ce tunnel est désormais effondré et impraticable. Pour accéder à la citadelle, il faut entreprendre une ascension pentue et, le soleil étant désormais haut dans le ciel, il fait chaud. Depuis le chemin, on peut voir de nombreux trous, assez grands, dans la montagne. On me dit que c’étaient d’anciennes « chambres » (otaq). Nous arrivons là-haut. Une tour à moitié détruite est encore présente. Le reste est constitué de murs et il est difficile de savoir à quoi l’ensemble ressemblait.

Je demande au garde qui nous accompagne s’il est content de travailler ici. Il répond que non. Il n’y a pas assez de commodités, la vie est difficile et le salaire dérisoire (5000 afghanis par mois soit 70 euros). La seule chose qui les aide ce sont les touristes qui viennent et leur donnent un pourboire.

Nous redescendons du côté du village, croisant les chèvres et moutons qui broutent tranquillement. Avant de partir nous remercions les gardes qui nous ont accompagnés. Sur la route du retour, nous faisons la rencontre assez inattendue d’un couple de retraités allemands dans un petit camion, en road trip dans la région. Ils viennent de Bâmyân et vont en Iran. Ils sont bloqués par le fameux camion et espèrent que la route sera dégagée demain ou après-demain. La dame profite de mon passage pour nous demander quelle est la meilleure route pour aller à Hérat. Elle utilise Google maps, mais ce n’est pas toujours fiable s’agissant des conditions de route…

Pauline Lapointe

 

1 – Association internationale évaluant la situation sécuritaire des pays où elle est implantée.

2 – Grand châle dans lequel s’enveloppent les hommes.

3 – District de la province de Bâmyân contigu à la province de Ghor.