Le N°173 des Nouvelles d’Afghanistan

Editorial du N°173, par Régis Koetschet

Le poète-philosophe Bahoudine Madjrouh nous manque.

Peut-être en ces jours de tristesse et de révolte nous aiderait-il à trouver le chemin, celui du ciel des oiseaux où ces jeunes écolières arrachées à leur famille, leur école, leur pays ont, nous l’espérons, atteint un monde de paix.

Photo: ToloNews

Ces visages nous interrogent. Ils s’offrent avec confiance à l’apprentissage et au savoir. Plus que d’autres, tant le parcours de leurs parents aura été rude, ils ont pris conscience que l’éducation est un gage de progrès pour tous, que l’accomplis­sement personnel – de l’étude à la pratique sportive – est un bonheur partagé. Ce constat n’allait pas de soi. Il a nécessité un effort.

Ces visages nous interrogent car pour jeunes et fragiles qu’ils soient, ils connaissent la réalité du temps, celui qui s’écoule au long des saisons, des longues neiges de Bâmyân à l’aridité poussiéreuse des étés de Dacht-e Bartchi. Mais pour leur malheur, ce temps n’est plus celui du monde qui sait et décide. Le visiteur, impatient et stressé, ne « reste plus pour la nuit ».

Ces visages nous interrogent dans l’innocence et la sérénité qu’ils affichent comme un défi au tourbillon de violence et de mort qui les cerne. On sait désormais avec le président Biden que Kaboul n’est plus le «centre du monde habité» de l’empereur Babour mais plutôt une sorte de marécage où il ne fait pas bon «s’éga­rer» et d’où il est nécessaire de s’éloigner.

Ces visages nous interrogent dans leur gravité car certains ont sans doute eu l’expérience de la violence familiale. Tous ont probablement déjà été frappés dans leur entourage par la violence terroriste qui vise à faire souffrir, se venger – et intimider.

On se souvient de la phrase de Jacques Chirac au Sommet de la terre : «La maison brûle et nous regardons ailleurs». Nous connaissons le prix à payer pour cet aveuglement. Les écoles et les maternités brûlent à Kaboul et nous regardons ailleurs. Puissent les retraits annoncés être utiles. Après tout, nous savons tous que la solution se trouve sans doute dans la capacité des Afghans à s’entendre, seuls, entre soi, en équilibre entre les encombrants et incontournables voisins et les nécessaires et lointains garants.

La sécurité des personnes est une exigence légitime pour toute diplomatie, à Kaboul comme à Paris. Mais le fondement d’une amitié centenaire puise également à des valeurs de proximité et de solidarité, ressenties comme une ardente contribu­tion au progrès et à la paix. Espérons que la diplomatie française saura retrouver au plus vite le chemin de l’Afghanistan.

Régis KOETSCHET, le 5 juin 2021

Sommaire du N°173

Actualité

Hospitalité ou culpabilité ?
par Etienne GILLE
Pour expliquer la décision de la France d’offrir des visas à tout son personnel, et par le fait même, d’arrêter de facto l’essentiel de sa coopération avec l’Afghanistan, des souvenirs douloureux sont évoqués : les harkis, le Rwanda… L’action de notre pays, que l’on peut considérer d’une certaine manière comme généreuse à l’égard de ce personnel, résulterait-elle au fond d’un fort sentiment de culpabilité ?

Les mesures de précaution de la France

Comment l’Afghanistan est-il perçu ?
par Nezam NEZAMUDIN et Françoise BARTHELEMY
Quelle image les Français ont-ils de ce pays après tant et tant d’années d’histoire tourmentée et d’interventions internationales en tout genre ? C’est ce que cette étude a essayé de découvrir.

L’étendue et les limites du pouvoir des tâlebân
par Shahir ZAHINE
Mouvement uni ? ou traversé de tendances diverses peut-être même contradictoires ? Shahir Zahin scrute, d’un peu plus près que ne le font le plus souvent les observateurs occidentaux, ce courant plutôt opaque.
La lecture de cet article vous est offerte en ligne.

Diplomatie

L’annonce du retrait de Biden
par Régis KOETSCHET
Ceux qui pensaient que l’arrivée de Joe Biden au pouvoir conduirait à une remise en cause du retrait américain en ont été pour leurs frais. Le retrait a été confirmé, avec seulement quelques mois de décalage et un accompagnement diplomatique plus consistant. Cependant, l’attitude a changé. Régis Koetschet analyse ici le discours que le Président américain a prononcé pour expliquer sa décision.

Société

Les filles et l’université
par Bérengère HAUER
Dans le numéro 141 des Nouvelles d’Afghanistan, publié en 2013, Pilar Martinez partageait avec les lecteurs une étude sur les raisons du faible taux d’accès à l’université des filles dans la province du Nangarhar dont le chef-lieu est Djalâlâbâd.
Qu’en est-il aujourd’hui ?

La « marche afghane »
par Geoffrey SCHOLLAERT
Quel nomade afghan aurait-il pu imaginer que sa manière endurante de marcher inspirerait un jour les marcheurs du monde entier ? Voici pour ceux qui veulent marcher loin sans trop se fatiguer une présentation de la marche afghane.

Mémoire

Sans mémoire et sans histoire, pas de paix
par Bérengère HAUER
Quand en 2002, il s’est agi de reconstruire l’Afghanistan et de l’engager dans un processus démocratique, un consensus assez général – mais à notre sens malheureux- s’est établi pour décider de ne pas faire la vérité sur les crimes de guerre. Il y en aurait eu trop. On a pensé que l’oubli était nécessaire à la réconciliation nationale. De ce fait, justice n’a pas été rendue, vérité n’a pas été faite et les blessures n’ont pu être ni pansées, ni apaisées. Un musée à Kaboul tente de pallier ce déni et de garder la mémoire des victimes de ces quarante dernières années.

Un paradis pardu : l’ancien « Wazirâbâd »
par Zafar PAÏMÂN
Un peu de nostalgie ne fait pas de mal. Au risque d’oublier un peu les côtés plus sombres du passé, Zafar Païmân se souvient de son enfance avec mélancolie. Rares sont les documents écrits sur le passé, même récent. De tels témoignages, révélateurs de l’art de vivre à l’afghane, n’en sont que plus précieux.

Hommage au patrimoine afghan
par Valéry FRELAND
Nous avons présenté dans notre dernier numéro la fondation ALIPH et son directeur exécutif, Valéry Freland. Celui-ci nous offre aujourd’hui ses impressions de voyage lors de la première mission d’ALIPH en Afghanistan (20-27 mars 2021) et nous communique l’émotion profonde qu’il a ressentie en visitant quelques hauts lieux de l’histoire afghane.

Un thé vert avec

Les petites reines de Kaboul
par Régis KOETSCHET
Un des paradoxes de l’Afghanistan actuel, et une de ses principales tristesses, est l’existence d’une jeunesse d’un grand dynamisme, mue par les idéaux universels, mais que la situation du pays désespère et qui est contrainte à l’exil. Quelle leçon de courage cependant chez ces jeunes filles cyclistes ayant appris à pédaler sur les routes difficiles et souvent hostiles de l’Afghanistan et qui se préparent à présent pour les Jeux Olympiques !

Dernières nouvelles

Chronologie (février 2021-avril 2021)

Mémoire : Robert Maitre

Dernières publications

Notes de lecture

De l’eau en faveur de la scolarisation
par Claire PATARD
Avec le printemps, AFRANE a lancé une série de projets dits « WASH » (eau et assainissement) dans plusieurs provinces.

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