Editorial du N°174, par Philippe Bertonèche
Le sort de la population afghane doit compter pour nous
Le 15 août 2021 est une date qui restera marquée à jamais dans la mémoire de tous les Afghans et de leurs amis. Apprendre le matin de ce dimanche que les dernières capitales provinciales étaient tombées aux mains des Tâlebân et que ceux-ci étaient aux portes de Kaboul attendant les ordres pour y rentrer a été la fin d’une séquence en accéléré de la désintégration de la République Islamique d’Afghanistan et l’ouverture d’une nouvelle séquence chargée d’inconnues. Puis sont arrivées en boucle sur les médias les images terribles de l’aéroport de Kaboul qui nous ont montré toute notre impuissance à aider nos amis.
Et maintenant que faire ?
D’abord parler de l’Afghanistan et de sa population comme le fait depuis plus de 40 ans la revue que vous avez en main. Il faut que l’Afghanistan reste un sujet d’actualité et reste présent dans nos médias pour attirer l’attention sur les sujets fondamentaux que sont le respect des droits humains, le respect de la dignité des femmes, leur droit à l’éducation, au travail, mais aussi sur tous les problèmes auxquels ce pays est confronté du fait du réchauffement climatique, du manque d’eau, des questions d’énergie, de pollution, de traitement des déchets, de surpopulation urbaine. C’est Martin Luther King qui disait : « Nos vies commencent à se terminer le jour où nous devenons silencieux à propos des choses qui comptent ». Le sort de la population afghane doit compter pour nous.
Aujourd’hui, une crise humanitaire de grande ampleur menace le pays tout entier. Avec un système bancaire presque totalement bloqué, des salaires non payés, des prix des produits alimentaires qui explosent, la vie des Afghans devient de plus en plus difficile dans un pays qui subit depuis plusieurs années des sécheresses rendant ses productions agricoles totalement insuffisantes. Et l’hiver arrive. Beaucoup de bonnes volontés s’expriment sur le sort des Afghans et des collectes sont organisées. Il s’agit d’aider 36 millions de personnes. Au niveau d’AFRANE, nous voulons apporter notre pierre à cet élan de solidarité en distribuant une aide alimentaire dans une partie du réseau d’écoles que nous soutenons. Pour cela, il sera indispensable que nous disposions d’argent pour procéder aux achats nécessaires.
Et après ? Pour le moment, les écoles ont repris leurs activités, sauf pour les jeunes-filles de l’enseignement secondaire. Le discours officiel est que celle-ci pourront retourner en classe quand leur sécurité sera assurée. Beaucoup de questions éthiques se posent aux ONG. Leur réponse est de poursuivre leur aide tout en étant vigilants sur les droits humains.
Pour terminer, je voudrais rappeler, comme le font certains articles de ce numéro des Nouvelles d’Afghanistan, que 1922 sera l’année du centenaire de la relation entre la France et l’Afghanistan. L’archéologie, l’éducation ont été les premiers pas de ce lien, sans connotation marchande. Ces 100 ans seront marqués par des événements partout en France qui montreront la force de cette relation et permettront au plus grand nombre de manifester combien la population afghane compte pour les Français.
Philippe BERTONECHE, le 6 octobre 2021
Sommaire du N°174
DOSSIER
Points de vue sur les événements
Chronologie succincte
par Etienne GILLE
Il n’est peut-être pas inutile, pour comprendre la situation actuelle, de se remémorer quelques éléments de l’histoire de l’Afghanistan. Voici donc quelques dates repère, avec un « focus » sur la période où les tâlebân ont dirigé une première fois l’Afghanistan.
Les causes de l’échec des pourparlers de paix
par Habiba SARABI
L’accord signé à Doha en janvier 2020 par les Etats-Unis avec les tâlebân a été très critiqué, notamment parce qu’il a été négocié sans la participation du gouvernement afghan. Il avait cependant apparemment le mérite d’avoir permis l’enclenchement d’un dialogue entre celui-ci et les tâlebân. Habiba Sarabi, qui participait à ces négociations, nous donne son point de vue sur les raisons de leur échec.
Paroles ouvertes
points de vue afghans
Après le changement de pouvoir en Afghanistan, il nous a semblé utile et juste de donner largement la parole à un certain nombre de personnalités afghanes d’horizons variés. Dans le cadre contraint de contributions courtes, nous leur avons proposé deux thèmes : « pourquoi cette prise du pouvoir des tâlebân ? », et « que faire maintenant ? ». Les raisons de l’effondrement sans combat du régime de Kaboul nécessiteraient certainement des analyses plus approfondies que ce que permettait le nombre de signes imposé, et aussi une meilleure information sur le déroulement des événements qui ont conduit à la fuite du Président Ghani. Il faudra que nous y revenions. Mais corruption du régime et aveuglement ou manipulation des Américains sont les principales raisons invoquées. En ce qui concerne la deuxième question, les textes que nous avons reçus semblent s’accorder sur la nécessité d’un certain pragmatisme. Le risque d’une crise humanitaire de grande ampleur est là et on est obligé d’en tenir compte. Mais derrière ces réflexions, l’émotion qui en ressort, d’abord proche du désespoir, laisse in fine la place à une forme de foi en l’avenir. « Un jour ce sera notre tour » prophétise un groupe d’enseignantes.
Le voyage bouleversé d’une jeune femme afghane
par Mâhdjân
Chaque été de nombreux Afghans résidant en France et possédant la nationalité française se rendent en Afghanistan pour rendre visite à leur famille. Cette année, beaucoup se sont retrouvés piégés par l’irruption soudaine des tâlebân à Kaboul. Voici, parmi beaucoup d’autres, le récit d’un couple s’étant retrouvé ainsi brusquement pris dans la tourmente. Les mots écrits, prisonniers d’un déroulé factuel, rendent mal le bouleversement ressenti et la douleur de laisser des proches dans une situation si difficile.
Actualité
De l’axe du mal à la géométrie des souffrances
par Régis KOETSCHET
Accueillis plutôt en libérateurs fin 2001, les Américains, et avec eux l’ensemble des pays occidentaux, quittent l’Afghanistan en laissant un sentiment de gâchis. Régis Koetschet resitue les événements dans leur perspective historique, en faisant ressortir le moment malheureux de l’invasion de l’Irak.
Société
Apprentissage de la lecture à la mosquée
une nouvelle de Nassim IBHAHIMI
C’est une fiction. Bien qu’elle doive être située sans doute il y a 20 ans, il n’est pas sûr qu’elle soit très éloignée de la réalité. Cette nouvelle dit beaucoup de choses sur le désir d’étudier, sur l’apprentissage de la religion, sur la distance que les enfants savent prendre, sur la violence.
Culture
Ahmad Zaher, le chanteur le plus populaire de l’histoire de l’Afghanistan
par Zaher DIVANTCHEGUI
On peut l’entendre dans les taxis de Kaboul ou dans les rues de Hérat et les jeunes migrants l’ont enregistré sur leur téléphone, Ahmad Zaher est sans conteste le symbole de ce qu’on pourrait appeler la modernité afghane, poétique et vibrante, et supra-ethnique. L’entendra-t-on encore sous les tâlebân ? Oui, certainement, sous le manteau. Cet article, rédigé avant l’arrivée des tâlebân, a une étrange résonance aujourd’hui.
Histoire
Il y a 100 ans, de jeunes Afghans à Paris
par Valérie VITTON
En 1921, une trentaine de jeunes aristocrates afghans arrivent en région parisienne pour étudier. Cette période de l’histoire, entre les deux guerres mondiales, fut un tournant pour l’Afghanistan : on croyait à Paris et à Kaboul que tout allait être possible et qu’un nouveau monde s’ouvrait.
Un thé vert avec
L’Afghanistan en partage de Sohie Makariou
par Régis KOETSCHET
Le musée Guimet a un lien très particulier avec l’Afghanistan. Il accueillera bientôt une exposition sur les 100 ans de la DAFA. Bien qu’elle n’ait pu jusqu’à présent voir ce pays que depuis l’autre rive de l’Amou Darya, Sophie Makariou, sa présidente, se trouve comme « nourrie d’Afghanistan ». Régis Koetschet l’a rencontrée en juillet, avant les « événements ».
Dernières nouvelles
Chronologie
Mémoire : Gilles Rossignol, Dr Issâ Sâfi
Dernières publications
Notes de lecture
Quelques figures marquantes de cent ans de l’amitié franco-afghane
Il y a cent ans débutait la relation franco-afghane, avec l’arrivée de 34 jeunes aristocrates à Vanves. Ces cent ans seront l’occasion tout au long de l’année 2022 de nombreuses manifestations rappelant la force des liens qui ont été tissés durant toute cette période. Voici quelques-unes des figures françaises qui ont marqué cette relation de leur empreinte.
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