Editorial du N°176
Triste nouvel an
Le Norouz 1401, nouvel an de l’année solaire hégirienne selon laquelle fonctionne le calendrier afghan, a été vécu bien tristement en Afghanistan. La fête, encore tout imprégnée de réminiscences zoroastriennes et teintée d’influences chiites, est cependant traditionnellement un grand moment d’unité populaire, toutes ethnies confondues. Cette année les talibans qui la considèrent comme incompatible avec une bonne religion, n’en ont cependant pas interdit totalement la célébration. Mais de toute façon le cœur n’y était pas, compte tenu de la situation économique et sociale.
Le drame a éclaté le lendemain. En Afghanistan, les zones froides du pays, qui englobent notamment la capitale, voient la rentrée scolaire annuelle s’effectuer après le nouvel an. Tout le monde attendait ce moment car les talibans avaient affirmé que les lycées de filles pourraient rouvrir leurs portes aux adolescentes. Celles-ci se sont présentées, certaines ont même pu prendre place dans leur classe quand, stupeur, un ordre issu d’on ne sait où est tombé intimant de les renvoyer chez elles. La scène a été la même dans toutes les provinces y compris celles dites chaudes où les filles avaient pu reprendre leurs études auparavant. Le désespoir dans les familles a été immense. Pour beaucoup, qui s’étaient résignés à vivre en régime taliban, il n’est vraiment plus possible d’envisager un avenir dans ce pays.
Une décision aussi inattendue, brutale, absurde, manifeste bien sûr des divergences au sein du mouvement taliban. Clairement aussi, ceux qui cherchent l’apaisement de la société ou tout au moins un minimum de reconnaissance de la « communauté » internationale n’ont pas le pouvoir réel. Peut-être, vu l’absence d’arguments en faveur de cette interdiction, arriveront-ils à la faire lever. Nous l’espérons vivement. Mais ce sera certainement au prix de nouvelles restrictions par exemple vestimentaires.
Pendant ce temps-là, les familles n’ont pas de quoi manger. Et les ONG sont contraintes de passer leur temps à chercher à n’en plus finir des autorisations pour pouvoir apporter leur aide aux familles nécessiteuses.
Nos lecteurs seront peut-être étonnés de trouver dans ce numéro un certain nombre d’articles un peu hors du temps. C’est sans doute dans l’ADN des nouvelles d’Afghanistan de se placer parfois dans le temps long. En cette année du centenaire de la relation franco-afghane, il n’est pas inutile de prendre un peu de recul et de se souvenir des jours anciens.
Pour AFRANE aussi, et plus largement pour beaucoup de ceux qui sont attachés à l’amitié franco-afghane, ce nouvel an a été un moment de grande tristesse avec le départ de Philippe Bertonèche son président. Tristesse mêlée cependant de la forte conviction que la meilleure manière de lui rendre hommage était justement de ne pas céder à la tristesse ni au découragement. «Aussi élevée soit-elle, toute montagne possède un chemin qui permet de la franchir».
Etienne GILLE
1er avril 2022
Sommaire du N°176
Actualité
Deux échos de province
Alors que le nombre de journalistes étrangers en Afghanistan a sensiblement diminué et que la censure semble se renforcer, il nous faut recueillir avec attention les témoignages qui nous parviennent de province. En voici deux, traduits du persan par nos soins, qui montrent que si une certaine normalité s’est établie, la paix est loin d’être revenue dans les coeurs et la situation économique des familles reste dramatique.
Opinion
Deux poids, deux mesures
par Marouf GHEGEDIBAN
L’auteur voit deux contradictions dans l’attitude occidentale. D’une part le Pakistan, allié des Etats-Unis, a soutenu sans vergogne les talibans. D’autre part on sanctionne les talibans tout en faisant les yeux doux aux pays du Golfe. Mais pendant ce temps-là, c’est la population qui souffre.
Littérature
Une œuvre à trois facettes
par Nadjib MANALAÏ
En cette année du centenaire des relations franco-afghanes, il est juste d’évoquer une grande figure de cette relation. Connu en France pour son oeuvre publiée en français sous le titre de « Ego-Monstre », Bahodine Madjrouh a joué aussi un rôle politique qui causa son assassinat à Peshawar en 1988. Nadjib Manalaï analyse ici avec subtilité la signification des différences qui existent entre les versions de son oeuvre en dari, pachto et français.
Société
Les aliments « chauds » et « froids », le poids des traditions
par Odile OBERLIN et Marie-Françoise ROLLAND-CACHERA
L’alimentation est un aspect essentiel de la santé et du développement d’une population mais elle est aussi le reflet de sa culture, de son histoire et de ses traditions. Deux scientifiques ont réalisé une enquête lors de leur séjour en Afghanistan entre 1972 et 1975, utilisant leurs compétences en nutrition ou exerçant en tant que médecin. Le sujet de cette étude est né d’entretiens réalisés avec la population, au cours desquels sont apparues les notions d’aliments qualifiés de « chauds » ou de « froids », sans que cela ne relève de leur température physique ou de leur goût. Cette enquête, bien qu’ancienne, reste d’actualité.
Histoire
Cent ans de dépendance économique
par Bernard DUPAIGNE
L’auteur rappelle ce que fut après la deuxième guerre mondiale la concurrence entre l’URSS et les Etats-Unis dans le développement du pays, puis les destructions consécutives à l’occupation soviétique et à la guerre entre les différentes factions des modjahedin. Il conclut en constatant que la reconstruction qui aurait dû se produire ces vingt dernières années a échoué.
Association
Peut-on soigner ces blessures
par Ömer TARZI
Ömer Tarzi, petit-fils de Mahmoud Tarzi, l’intellectuel réformateur qui inspira Amânollâh Khân, a bien voulu livrer aux Nouvelles d’Afghanistan quelques réflexions sur la situation en Afghanistan et partager quelques informations sur les oeuvres de la MTCF. Il nous a également confié des photos pour illustrer son propos quand il nous parle avec fierté de sa famille et de sa fondation.
Souvenir
Exploration au Badakhchân
par André BOUTIERE
En juillet 1967, dans le cadre de la RCP44 (Recherche Coopérative sur programme du CNRS en Afghanistan), André Boutière effectua avec son maître Pierre Bordet une longue reconnaissance géologique dans la région de la mine de lapis-lazuli de Sar-e Sang, dans la partie orientale de l’Hindou-Kouch, province du Badakhchân, Afghanistan. Ce périple de plusieurs semaines, totalisant plus de 300 km, s’effectua à cheval et à pied, en une boucle autour du massif du Banda-Koh qui abrite le site minier. A la même époque, Jean Wyart, professeur de minéralogie à la Sorbonne, effectuait avec Pierre Bariand, minéralogiste de renom, une étude minéralogique du gisement de Sar-e Sang. André Boutière nous fait partager ses souvenirs de cette exploration.
Un thé vert avec
Les mille et une maisons de thé de Jef en hommage à Joseph Kessel
par Régis KOETSCHET avec Olivier WEBER
L’écrivain Joseph Kessel est l’une des personnalités françaises les plus emblématiques de l’amitié entre la France et l’Afghanistan. Son roman Les Cavaliers qu’il rédigea avec un soin infini, en faisant à la fois une oeuvre testamentaire et une offrande à l’Afghanistan, parut en 1967 et fut un immense succès de librairie avant d’être porté à l’écran par John Frankenheimer. Il était tentant de chercher à partager avec son auteur notre premier « thé vert » de l’année du centenaire.
Mémoire
Ouvrier de l’amitié
par Etienne GILLE
Philippe Bertonèche est décédé le 17 mars des suites d’une longue et douloureuse maladie. Nous reproduisons ici l’hommage qu’Etienne Gille a rendu à Philippe Bertonèche lors de ses obsèques. Et nous présentons à son épouse et à ses deux filles nos condoléances infiniment attristées.
Dernières nouvelles
Chronologie novembre 2021-janvier 2022
dernières publications
Notes de lecture
Un ami, un frère
par Zaher DIVANTCHEGUI
Philippe Bertonèche a quitté ce monde le jeudi 17 mars. Au nom de tous ses amis, un membre du Conseil d’Administration d’AFRANE lui rend hommage. On trouvera en pages intérieures une évocation de sa personnalité et de ses engagements.
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