Editorial du N° 185

Mille et un jours, mille et une nuits

Bientôt trois ans – mille et un jours de claustration, mille et une nuits de faim – que l’Afghanistan vit sous le joug des tâlebân. Les impressions des visiteurs, au demeurant nombreux, confirment une lecture contradictoire et, insaisissable, entre désespérance et dignité, à la fois contrastée et en demi-teinte, figée et circulant à la vitesse de la toile. La sécurité au quotidien est mieux assurée mais les souffrances se font plus prégnantes à mesure que la pauvreté s’installe et que les perspectives d’évolution s’éloignent. La vie reste, pour autant, la plus forte et la résilience, notamment en matière d’éducation, ne parvient pas à être découragée.

Derrière cette apparence de « normalité » à la tâleb, c’est à dire excluant la moitié de la société, les réalités sont plus sombres comme en témoigne la situation à Hérat. L’heure n’est pas à l’adhésion à un régime perçu comme répressif. Doutes et méfiance s’ajoutent au rejet de l’ère des « seigneurs de guerre ». Solitude d’une population qui s’attache, comme elle le peut, à conserver sa fierté.

Mille et un jours que la situation régionale et internationale se dégrade. L’Afghanistan reste impliquée dans « les guerres des autres », de l’Ukraine au Proche-Orient, alors que l’État islamique au Khorassan frappe, de Bâmyân à Moscou et que réapparaît le spectre de l’État-terroriste.

Aussi, à la veille du troisième Forum de Doha, le régime essaye de pousser les feux pour rompre son isolement et être, d’une façon ou d’une autre, « reconnu ». Du côté de la communauté internationale, traversée de divisions, l’importance géostratégique de l’Afghanistan demeure. On ne peut se satisfaire d’un « trou noir » au « centre du monde ». C’est à cette aune qu’il convient de lire le plaidoyer personnel de Chahir Zahine. Il nous interroge. Il suscitera vos réactions.

Les nouvelles d’Afghanistan – et avec elles, nombre d’ONG présentes en Afghanistan – s’attachent, dans le respect de leurs principes et de leurs valeurs, à témoigner de leur solidarité active, tout particulièrement en matière d’aide humanitaire, d’éducation et de culture.

Nous savons parfaitement que la voie est étroite. Les « plumes afghanes » majoritaires dans la rédaction de ce numéro, nous invitent pour autant à nous y engager.

Viens, ô Mollâ Mâmad Djân, partons pour Mâzar,
Allons nous promener dans les champs de tulipes.
J’allumerai les bougies sur ton mausolée.
Je ferai des vœux pour que les souhaits
Des amoureux soient exaucés.
Mille et un jours, mille et une nuits.

Régis KOETSCHET
20 juin 2024

 

Sommaire du N°185

Actualité

Echos de voyage
par Françoise BARTHELEMY
A l’issue d’un voyage à Kaboul et Bâmyân, du 26 avril au 4 mai, Françoise Barthélémy nous livre ici quelques impressions et nous parle de l’action de son association, AMA (Amitié Mères Afghanes).

Hérat dans une situation chaotique
par Sahar REZAÏ
Hérat a toujours été un haut lieu de la culture en Afghanistan. ses habitants, en majorité tadjiks, n’en vivent que plus douloureusement
la situation actuelle. Une militante des droits humains fait le point de la situation. Point de vue très sombre.

La communauté internationale va-elle renouer avec l’Afghanistan ?
opinion de Chahir ZAHINE
Pour ou contre la réintégration de l’Afghanistan des talibans dans la communauté internationale alors même que le régime « de facto »
ne fait pas la moindre concession aussi bien dans le domaine de l’inclusivité que dans celui des droits des femmes ? Chahir Zahine fait partie des gens qui sont pour et défend le principe d’une approche pragmatique. Au risque de paraître bien indulgent à l’égard des talibans et bien sévère à l’égard des pays dits occidentaux.

Education

Eduquer envers et contre tout, le parcours d’un pédagogue
par Mohammad Hassan NAQAWI
Ce n’est pas parce qu’on s’exile que l’on baisse les bras. Nombreux sont les Afghans réfugiés à l’extérieur de leur pays qui consacrent toute leur énergie à aider leurs compatriotes restés sur place. Voici un exemple de beau parcours, celui d’un professeur passé par les formations d’AFRANE, rapporté avec enthousiasme par un de ses collègues.

Droits de l’homme

Les droits politiques des hindous et des sikhs sous les talibans
par Yasin GHULAMI -YAMIN
Petit à petit l’Afghanistan voit ses minorités non musulmanes disparaître. Après la conversion forcée du Nouristan à la fin du 19ème siècle, et le départ récent du dernier juif, c’est au tour des hindous et des sikhs de se trouver plus ou moins contraints de partir, faute que leurs droits de citoyen à part entière soient réellement protégés.

Culture

Mollâ Mâmad Djân, une chanson iconique
par Zâher DIVANTCHEGUI
A chaque concert afghan ou presque on entend cette chanson, toute simple, du folklore. On ne se rend pas forcément compte de son importance dans l’imaginaire des Afghans. Et si c’était un des marqueurs de leur identité ? Zâher Divantchegui, après avoir rappelé sa place dans le répertoire afghan, nous parle de l’histoire quelque peu arrangée de la chanson et sa présence encore aujourd’hui dans la société alors que la musique a été interdite.

Un thé vert avec Fabrice Etienne

Lendemains d’utopies meurtrières en rouge et en vert
par Régis KOETSCHET

Afghans de France

La musique en Afghanistan, un oxymore ?
Dialogue musical avec Marina Malik, jeune clarinettiste
par Florence ROUSSIN
Comme sans doute dans tous les pays du monde, la musique fait partie de l’âme afghane. Qu’elle soit classique, folklorique, musique de film (de préférence indienne), exubérante ou mystique, elle imprègne – elle imprégnait – la vie quotidienne. Et voici que les musiciens ont dû s’exiler. Florence Roussin nous parle d’une jeune clarinettiste – eh oui, on jouait il y a peu de la clarinette à Kaboul – qui a dû se réfugier en France pour continuer ses études musicales.

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