Afghanistan 1934-1936 de René Dollot – Compte-rendu de Régis Koetschet

Nous vous annoncions en janvier la réédition par le CEREDAF de Afghanistan 1934-1936 de René Dollot.
Dans le dernier numéro des Nouvelles d’Afghanistan Regis Koetschet nous en propose un compte rendu que nous retranscrivons ici.

Afghanistan, 1934 – 1936

Afghanistan 1934-1936 par René Dollot - CEREDAF

Afghanistan 1934-1936 par René Dollot – CEREDAF

L’Afghanistan est une affectation qui inspire les diplomates français, de Maurice Fouchet (Notes sur l’Afghanistan) à Jean d’Amécourt (Diplomate en guerre à Kaboul), en passant par Henri Caillemer (Islam blanc sous le toit du monde) voire JB Barbier (Un frac de Nessus).

Mais la référence incontestée reste le livre de René Dollot, ministre de France à Kaboul de 1934 à 1936, paru sous le titre « Afghanistan – histoire, description, mœurs et coutumes, folklore, fouilles », en 1937. Comme le dit Abel Bonnard dans sa préface, le « stendhalien » Dollot fait montre d’une « perpétuelle curiosité ». Tout l’intéresse en Afghanistan, de l’histoire à la géographie, de la vie sociale et intellectuelle aux contours de « l’œuvre française ». Sa plume est érudite, précise et alerte, conjuguant analyse, visites de terrain et récit du quotidien d’un diplomate. Elle donne à voir un pays à la destinée millénaire, pétri de traditions et de passions, au parcours tourmenté et où l’on chérit les oiseaux et les fleurs. Le représentant de la France regarde son pays d’affectation au « pittoresque grandiose » les yeux grands ouverts, mais sans ignorer les limites et les contraintes de la fonction (« Le contact entre les diverses colonies est restreint… elles sont presque sans relations avec les Afghans, les hommes, à cause des femmes, ne pouvant pénétrer dans les maisons indigènes, ni les femmes indigènes dans les maisons européennes »).

Le Dollot devenait difficile à trouver et le CEREDAF a eu la très heureuse idée de le rééditer avec le soutien de l’ambassade de France à Kaboul. Mais il ne s’est pas limité à rendre à nouveau accessible ce texte, documenté et utile pour tous ceux qui souhaitent connaître l’Afghanistan. Il l’a enrichi d’une introduction de Gilles Rossignol et d’une iconographie de la propre fille de l’auteur, donnant une deuxième vie à ce travail de mémoire « au service d’une relation d’amitié entre la France et l’Afghanistan », comme l’écrit Vera Marigo dans sa présentation.

Dans son introduction, fouillée et passionnante, l’ancien président d’AFRANE revient sur la vie de René Dollot et le Kaboul des années trente. Si le propos du diplomate est de dresser une « physionomie générale » de l’Afghanistan, de le « faire connaître » – et sans doute reconnaître comme partenaire – Gilles Rossignol ajoute de nombreuses références sur sa correspondance politique, moins « lisse » au regard des troubles et des manœuvres des puissances qui marquent sa mission. Très documenté, René Dollot laisse échapper parfois dans son livre des jugements quelque peu étonnants, comme celui de la page 56 où il décrit Nader Chah comme ” intelligent, humain et naturellement modéré”, alors qu’il fut comme on sait d’une grande cruauté ! Sous Dollot et « à l’ombre de l’éminence grise Hackin », la France, pour sa part, joue sa carte qui relève de la coopération et de l’archéologie. « Son influence est essentiellement d’ordre intellectuel » et « Caboul apparaît comme une citadelle avancée de ce Proche-Orient où le français bénéficie encore d’une primauté séculaire ».

Une iconographie d’un grand intérêt illustre désormais le texte de René Dollot. On la doit à sa fille, Ghislaine de Suremain, qui a accompagné son père à Kaboul et pris un grand nombre de photographies. Dans les années 2000, elle a eu la gentillesse de confier ses albums au CEREDAF. De ce fonds d’une richesse exceptionnelle ont été tirées des photographies qui prolongent avec bonheur l’écriture de son père. Turbans et chapeaux des femmes de diplomates, tchaikhana et véranda de la légation, fêtes populaires et jeune roi Zaher Chah. Un kaléidoscope pétillant, chargé de poésie et d’émotion, sur l’Afghanistan d’antan.

Cette publication du CEREDAF nous enchante par son intelligence et sa délicatesse. Mais elle nous interroge aussi, tant, dans ces années d’avant-guerre, affleure la complexité de l’Afghanistan « qui mûrit son destin », déchiré entre le poids du passé et l’aspiration au modernisme, confronté aux ambitions de son voisinage. Devant ces « antinomies », il appartient pour l’auteur, « aux politiques de les concilier pour les résoudre en harmonie ». Beaucoup reste visiblement à faire et on aura compris que le livre de René Dollot n’a rien perdu de son actualité.
R.K.

Cet article est originellement paru dans le n° 156 des Nouvelles d’Afghanistan. Vous pouvez vous abonner ou commander un numéro en cliquant sur les liens ci-après.

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