Cet article est extrait du N°177 des nouvelles d’Afghanistan.

Hérat est la ville phare de l’ouest afghan. Célèbre par son passé à l’époque timouride, elle a gardé l’image d’une ville de haut niveau culturel. Zaher Divantchegui a recueilli le témoignage d’une militante de la société civile qui compare la vie dans la cité hier et aujourd’hui. Hélas tous les indicateurs sont au rouge.

Nous avons demandé à Mme Lalah Saranow (1) : qu’est-ce qui se passe à Hérat ? Aussitôt, elle a réagi en posant la question autrement : depuis le jeudi 12 août 2021 où les talibans se sont emparés de ce carrefour des routes de la soie, qu’est-ce qui a changé ?

Avant cette date qui est imprimée dans la mémoire des Hératis, la vie, avec des hauts et des bas, s’écoulait norma­lement comme l’eau d’un ruisseau. Les enfants allaient à l’école. La majorité des filles faisaient des études. Un nombre considérable d’entre elles allaient à l’Université et certaines ne se contentaient pas d’une licence, mais tentaient de pas­ser un master voire un doctorat. Beaucoup travaillaient en dehors de la maison et c’est elles qui subvenaient aux besoins de la famille. Une partie des femmes occupaient des métiers anciennement masculins : professeurs à l’université, conduc­trices de véhicules, vendeuses, gérantes de restaurants et bien d’autres.

Hérat a été bien souvent considérée comme une cité traditionaliste, mais en fait les femmes portaient des man­teaux multicolores ouverts sur le devant. Même si certaines femmes de la campagne portaient encore des burqas, le port de vêtements moins fermés s’est développé. Pour boire un thé ou fumer la chicha, beaucoup de citadines allaient avec leurs amis, hommes et femmes, dans les restaurants. Un des loisirs les plus ordinaires pour les familles aisées et la classe moyenne était d’aller au restaurant. Bien souvent les jours fériés, elles y allaient prendre une tasse de thé et fumer un narguilé et elles écoutaient la musique en live. On voyait rare­ment une femme complètement couverte.

La ville était de plus en plus animée

Au fil des années, Hérat était devenue de plus en plus ani­mée. Les taxis pleins de monde sillonnaient la ville. Il y avait de plus en plus de supermarchés. En concurrence les uns avec les autres, ils essayaient d’améliorer la qualité de leurs services.

Les services privés de santé s’étaient développés. Ils pos­sédaient des équipements modernes et les gens n’avaient pas besoin pour des examens simples de se rendre dans les qualifiés et spécialisés dans différents domaines médicaux exerçaient dans des cliniques équi­pées. Ils pouvaient effectuer des opérations qui n’étaient auparavant pas possibles à Hérat ce qui obligeait les patients à faire des dépenses démesurées pour se rendre en Inde, en Iran ou au Pakistan.

Certes la corruption atteignait des niveaux très élevés au sein du gouvernement et la popu­lation était mécontente. Mais Hérat vibrait au travers de diverses activités. La liberté d’expres­sion, la présence des femmes dans la société et l’encourage­ment de leur rôle et de leur oeuvre étaient sources de joie. Les médias étaient libres et divers. On pouvait adhérer libre­ment aux associations civiques qui bénéficiaient d’une liberté d’action. Hommes et femmes avaient le droit de se réunir et de manifester.

Malgré les explosions et les attentats suicides, Hérat pen­sait possible un avenir meilleur : la construction de grands barrages hydrauliques, la création d’un chemin de fer, les projets concernant l’électricité, des productions industrielles qui entraient en concurrence avec les produits des pays voi­sins.

Ces espoirs cachaient une inquiétude qui étreignait sans arrêt les cœurs des gens, des plus vieux aux plus jeunes, no­tamment les femmes, du fait des rencontres régulières, du­rant des années, entre les talibans et les Américains au Qatar. Des rumeurs hantaient les esprits : les Américains vont-ils faciliter l’arrivée des talibans au pouvoir ? Pendant ce temps-là, un peu partout dans le pays, les attentats-suicides, les attentats à la bombe et les assassinats ciblés s’intensifiaient.

Quant à nous, nous étions un groupe de bénévoles com­posé de femmes ayant un certain niveau d’études et actives. Soucieuses des problèmes du pays, nous espérions toujours que la société afghane évoluerait vers une société plus hu­maine et plus juste. Nous étions attentives aux pourparlers de paix au Qatar, nous avions un regard critique et nous les considérions comme un jeu politique.

Le visage actuel d’Hérat

La vie des Hératis a maintenant complètement changé. On dirait qu’on ne respire plus le même air. Les restaurants gérés par les femmes sont fermés. Les femmes ont peur de sortir en ville sans un mohram, un proche.

Depuis l’arrivée des talibans beaucoup de filles ont été vendues, des fois même sur le marché. Il y a une augmenta­tion des mariages forcés où la fille n’a pas son mot à dire et aussi des mariages précoces, dès l’âge de 9 ans. Les gens sont sans activités et ont faim. Pour subvenir aux besoins vitaux, certains vont jusqu’à vendre leurs organes. Les femmes sont déprimées et désespérées. Elles pleurent souvent et il y a une augmentation des suicides.

Les talibans imposent depuis peu aux enseignants de remplir des formulaires dans lesquels ils doivent fournir des informations avec des détails les concernant. Dans ces formu­laires, il est demandé aux professeurs de lister tous les noms des membres de leur famille et les moyens de les contac­ter. Les talibans semblent aussi vouloir contrôler l’usage des réseaux sociaux et menacent les contrevenants de consé­quences graves. Les enseignants disent que c’est une atteinte à la vie privée. Leurs CV existent déjà au département de l’éducation de Hérat et ils estiment qu’ils ne devraient pas avoir à remplir de nouveaux formulaires.

Pas la même langue


Hérat, décembre 2021. La pauvreté touche la population.
Des femmes attendent de l’aide dans la rue. (Photo DR)

Près d’une centaine d’ateliers de couture tenus par des hommes qui cousaient des habits de femmes ont été fermés. De ce fait ils ne peuvent plus nourrir leur famille.

Les échanges avec les talibans sont difficiles. Dans les administrations les responsables sont pachtophones. Les gens ne les comprennent pas et eux ne comprennent pas les gens. Après l’effondrement du système républicain, le sys­tème judiciaire, comme d’autres secteurs, a connu une trans­formation totale. Dans le passé, malgré tous les problèmes, principalement la corruption dans le système judiciaire, les juristes avaient un niveau d’études et étaient formés. Leurs verdicts n’étaient pas basés uniquement sur la charia. Depuis l’arrivée des talibans, une partie des nouveaux juristes ont joué un rôle dans les exécutions sommaires. Une autre partie sort des écoles religieuses et n’ont aucune formation dans le domaine de la justice. Leur vision est basée sur la juris­prudence hanafite. Les problèmes que rencontrent ces tribu­naux peuvent être énumérés comme suit :

– Les jugements sont expéditifs, pris sans enquête judiciaire.

– Les décisions sont marquées par des questions ethniques et linguistiques. Les juges s’expriment en pachto et les gens ne comprennent rien. A tel point que Maolawi Mudjib ul-Rah­man Ansari, allié des talibans, a fait une critique à ce sujet.

– Le peuple est harcelé en permanence par les institutions judiciaires avec des arrestations et des procès inappropriés sous divers prétextes.

Les habitants n’arrivent pas à payer leurs factures d’élec­tricité, mais ils sont obligés de payer l’électricité des mos­quées. Au nom de la dîme et de la zakat, les citoyens sont taxés en permanence.

Dans les taxis, les tchaïkhâna, les restaurants, les com­merces on entendait naguère partout de la musique. On dirait à présent que la ville est endeuillée. Tout est interdit. Même dans les fêtes de mariage la musique doit être silen­cieuse. De nombreux instruments de musique ont été brisés à coups de hache et certains musiciens ont été emprison­nés avec une courte peine. Ces musiciens gagnaient leur vie grâce à leur activité artistique. Ils ont dû aller en Iran. Là-bas, ils sont sans papiers et au chômage. Ils ont la vie difficile de l’exil.

Les étudiantes qui se rendaient en Iran pour des études supérieures comme des doctorats ne peuvent plus voyager seules. Elles doivent être accompagnées par un mohram ou un proche.

Lors des conférences de presse, les femmes journalistes ont été à plusieurs reprises traitées avec mépris ou discrédi­tées. La plupart ont été licenciées.

Les anciens employés du gouvernement précédent qui se comptent par milliers vivent dans les pires conditions. Non seulement, ils n’ont pas de quoi se nourrir, ils n’ont pas non plus la sécurité et doivent parfois changer de lieu de rési­dence.

Dans les salles de classe à l’Université, des agents de la Prévention du vice contrôlent et supervisent les cours. Le tadjwid (lecture psalmodiée du Coran) a été ajouté au pro­gramme universitaire. Les filles et les garçons étudient dans des classes séparées. Dans les classes où le nombre d’élèves ne suffisait pas pour constituer une classe, filles et garçons ont été privés d’enseignement. Tout récemment quelques étudiants de troisième année de psychologie ont été privés d’études : tout simplement, ils n’étaient pas assez nombreux pour constituer une classe.

Autre phénomène : il arrive fréquemment que les tali­bans tirent sur des personnes dans la rue ou sur des voitures privées. Une victime a été un jeune homme avec son cama­rade. Les talibans ont simplement dit : on s’est trompé.

La manière de s’habiller est un problème. Les hommes sont tenus de porter des vêtements locaux (perahan o ton­bân). Ils doivent laisser pousser la barbe. Un jeune homme chic et soigné travaillait en tant que secrétaire dans le cabi­net d’un médecin. Sur le trajet vers son travail, il portait des habits traditionnels mais au bureau il se mettait en costume cravate. Cela n’a duré que quelques mois, les talibans sur­veillent tout.

Les femmes militantes s’habillent en noir en signe de contestation. Elles se réveillent chaque matin avec une dou­leur indicible et à peine réveillées sont déjà dans l’attente de la nuit.

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(1) Pseudonyme. Madame Mme Lalah Saranow est membre de la Women’s Social Equality. Cette Association a travaillé pour l’égalité des sexes dans la province de He­rat sous le régime précédent en profitant des outils existants et des moyens gouvernementaux pour faire avancer ses objectifs. Après la chute du gou­vernement, elle a été réduite au chômage Pour des raisons de sécurité, elle a changé plusieurs fois de domicile.

 

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