Editorial du N°170, par Etienne Gille
La place de Dieu
Quel sera l’Afghanistan de demain ? C’est la question qui est à présent posée. Il faut se réjouir de ce que gouvernement afghan et tâlebân se parlent enfin. Cependant le fossé est tellement grand entre les deux délégations qu’il est difficile de préjuger de ce qui va advenir. Sans doute y aura-t-il des gesticulations et des crises, mais un mouvement est sans doute enclenché.
D’emblée, les tâlebân ont placé les débats sur le plan religieux. Et cela à leur manière très formelle, très théocratique. Il s’agit de savoir sous l’égide de quelle école juridique les débats doivent se dérouler. Ce faisant, ils cherchent à diviser leurs interlocuteurs, en isolant les chiites. Espérons qu’ils ne parviendront pas à leurs fins. Mais surtout, ils obligent leurs adversaires à venir sur leur propre terrain, le terrain qu’ils affectionnent, celui de l’argumentation dogmatique.
Dès lors deux visions de l’organisation de la société s’affrontent. L’une où Dieu, c’est-à dire ce que les hommes font dire à Dieu, dicte sa loi. L’autre où les lois sont définies par les hommes de manière plus ou moins démocratique. On peut dire que depuis un siècle, depuis l’avènement d’Amânollâh, l’Afghanistan hésite entre ces deux pôles. Sous le règne de Zâher Châh, avec la constitution de 1964, un certain consensus avait été atteint. Mais la précipitation et la violence des communistes et des Soviétiques ont rompu l’équilibre. Il s’agit à présent de le rétablir. De trouver les mots et les principes qui permettront à la population et aux religieux de s’approprier la démocratie, de l’afghaniser pour qu’elle n’apparaisse plus comme venant de l’extérieur. L’électricité n’a pas de frontières. Pourquoi la démocratie en aurait-elle ?
Entre deux délégations si différentes, un courant peut-il s’établir ? La définition d’un nouveau régime conciliant des visions opposées peut-elle émerger ? Une déléguée aurait dit que dans un premier temps on s’apprivoisait, on apprenaità se connaître, on créait des liens. Ce sont les premiers pas du dialogue.
Mais pour aller plus loin, il est nécessaire de progresser vers un arrêt des violences. On ne peut pas tendre des embuscades à ceux avec lesquels on a commencé à parler. Les tâlebân refusent actuellement tout cessez le feu. S’ils persistaient, ils montreraient qu’ils ne peuvent imposer leurs conceptions que par la violence. Qu’ils sont davantage les ennemis de leur propre peuple qu’ils ne l’étaient des Américains.
Les Cassandre nous annoncent « l’effondrement » de l’Afghanistan (1). Pourtant, je lis dans mes mails cette phrase d’une volontaire qui vient de prendre ses fonctions à AFRANE : « je suis très heureuse d’avoir fait la connaissance de l’équipe à Kaboul. Des personnes haut en couleur et d’une extrême gentillesse. J’ai rencontré et discuté avec M. H. qui m’a raconté les débuts d’AFRANE et les liens d’amitié qu’il a noués avec ses responsables. J’ai également pu m’entretenir avec les professeurs de français de Djalalabad dont la motivation m’a vraiment touchée. »
Alors, non, tout espoir n’est pas perdu. L’afghanité est toujours vivace.
Etienne GILLE
6 octobre
(1) Le Monde du 2/10
Sommaire du N°170 des Nouvelles d’Afghanistan
Actualité
A Doha : méfiance, mais un peu d’espoir? Le mystère de l’éléphant
par Shahir Zahine
Le forcing de D. Trump avant l’élection américaine a permis la rencontre à Doha de représentants des tâlebân et du gouvernement afghan. Pour Shahir Zahine ces pourparlers font penser à la parabole de la pièce obscure racontée par Djalaluddin Roumi. Au milieu de la pièce il y a un éléphant que personne ne voit. Chacun pourtant peut en toucher un membre et s’en faire une idée. Au milieu de la pièce, est-ce la paix qui est cachée ? Ou quelque monstre à venir ?
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Le purgatoire afghan
par Hashem SHAFAQ
Six mois après l’accord entre les Etats-Unis et les Tâlebân, des négociations viennent enfin de s’ouvrir entre ceux-ci et une représentation des différentes composantes politiques afghanes. Ces discussions risquent d’être très longues, compte tenu du fossé idéologique qui sépare les deux parties. Les sentiments de la population sont quant à eux mitigés. Un peu d’espoir, mais beaucoup de doutes et de craintes.
Les dérives du monde
par Régis KOETSCHET
À la veille du Conseil d’Administration d’AFRANE, Régis Koetschet avait «griffonné» quelques lignes pour traiter du premier point de l’ordre du jour sur l'(insaisissable) situation en Afghanistan. « À l’abri de mon masque, écrit-il, j’y ai sans doute mis plus d’émotion que de raison. »
Au lecteur de juger.
Le groupe Etat islamique en Afghanistan
par Geoffrey SCHOLLAERT
Près de sept ans après son apparition, l’Etat Islamique (Daech) est toujours présent en Afghanistan. Il est aujourd’hui affaibli mais ses fidèles et ses dissidents disposent encore d’une capacité de nuisance notable. Apparu brusquement sur la scène mondiale et fort d’une communication moderne maitrisée entièrement, actif sur les réseaux sociaux, disposant de « Amaq », sa propre agence de presse et de son organe de propagande, le mouvement marque les esprits et s’impose médiatiquement à chacun. Son irruption en Afghanistan à la charnière des années 2014 et 2015 a sans conteste fait bouger certaines lignes. Mais devons-nous pour autant le considérer comme un nouvel acteur avec lequel il faut compter sur le long terme ou au contraire comme un phénomène éphémère ?
Géopolitique
Afghanistan, Pakistan, Inde…
par Pierre LAFRANCE
Le conflit afghan ne se résume pas en une « simple » question intérieure pouvant se résoudre par le biais d’un accord bilatéral entre gouvernement afghan et Tâlebân. Il s’inscrit plus largement notamment dans un « jeu » complexe entre l’Inde et le Pakistan dont l’Afghanistan est une victime collatérale. Pour s’entendre avec le Pakistan, l’Afghanistan doit-il limiter ses rapports de coopération avec l’Inde ?
Histoire
Le siège de Djalalabad
12 novembre 1841-17 avril 1842
par Gilles ROSSIGNOL
Deux mois avant l’anéantissement de l’armée britannique dans les gorges de Khord Kaboul (janvier 1842), une colonne commandée par le brigadier Sale avait difficilement rejoint Djalâlâbâd. Au terme d’un siège de cinq mois, elle parvint à mettre en déroute l’armée afghane d’Akbar.
Un thé vert avec
Radio, vélo, palao avec Raphaël Krafft
par Régis KOETSCHET
Né en 1974, Raphaël Krafft a réalisé des reportages et des documentaires notamment pour France-Culture. De longs voyages à vélo à travers le monde ou à travers la France ont donné lieu à des livres. C’est au sujet de son expérience en Afghanistan où il a monté une radio de proximité que Régis Koetschet l’a interrogé.
Aide humanitaire
Solidarité en temps de virus
par l’équipe d’AFRANE
L’épidémie de la Covid 19 a été particulièrement sévère en Afghanistan.
Les statistiques officielles ne permettent pas de rendre compte du phénomène. Il semble heureusement qu’en septembre le gros de la vague était passé. Durant le printemps et l’été, tandis qu’elle restait active en préparant en travail à distance de nombreux documents pédagogiques, AFRANE, à une échelle certes modeste, a mené plusieurs actions pour combattre les effets du virus.
Mémoire
Alain de Bures
Nous avons reçu beaucoup de témoignages montrant combien il avait d’amis et combien son expérience d’insertion dans le monde afghan a été exemplaire. Nous ne pouvons hélas les publier tous, mais ils sont accessibles sur le site de l’association MADERA dont il fut un pilier.
Dernières nouvelles
Chronologie (juin – août 2020)
Dernières publications
Notes de lectures
Alain Thiollier