Editorial du N°187
Paradoxe d’Afghanistan
II semble qu’on assiste en Afghanistan à un double mouvement paradoxal.
D’une part la poursuite du durcissement continu de la politique de coercition dans le pays et d’autre part la lente progression d’un processus de « normalisation » de l’attitude internationale. Pour ce qui est de la radicalisation toujours plus grande du régime on peut citer ces derniers mois, dans le cadre de la loi de prévention du vice et de la promotion de la vertu édictée en août dernier, des mesures visant à limiter encore plus la liberté de la presse et la diffusion d’images, et à présent la fermeture des cours pour les sage-femmes. D’autres mesures seraient en gestation pour restreindre davantage l’éducation des fillettes (on ignore sur quelles bases repose un tel acharnement contre les femmes), pour diminuer la présence d’étrangers non musulmans dans le pays dont la « pureté » serait menacée ou pour interdire tout ou partie des ONG. Tout cela donne l’impression d’un régime qui, au fond, manquant d’assise populaire et de crédibilité internationale, se sentirait menacé.
Dans le même temps, et comme en sens inverse, des pays, parfois timidement mais de plus en plus nombreux, font des risettes au régime de facto. L’article d’Alain Marigo sur la Chine montre assez l’intérêt, voire l’appétit de ce pays pour un voisin avec lequel il n’a pourtant que peu de kilomètres de frontière commune. Le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, l’Iran s’intéressent également de près au marché afghan. Tout récemment, le Tadjikistan, pays pourtant jusque-là le plus réticent à une « normalisation », a signé avec l’Afghanistan un important accord de fourniture d’électricité. Et derrière eux, la Russie, Responsable quand elle était encore l’URSS du chaos afghan, ne l’oublions pas, se demande bien jusqu’où elle peut aller dans la voie de la reconnaissance d’un régime quand même inquiétant. Pour ce qui concerne le Pakistan, c’est un autre paradoxe que, berceau des talibans, il soit en bisbille constant avec eux.
Quant à l’Europe, elle hésite entre le respect des grands principes et le réalisme qui voudrait qu’elle ne laisse pas l’Afghanistan s’enfermer dans son obscurantisme et… devenir la chasse gardée de voisins guignant les richesses du sous-sol afghan. Reste à savoir ce que Zorro, je veux dire Trump, va faire.
C’est le minaret de Djâm qui fait la couverture de notre numéro. Vestige d’un passé peu connu, émerveillement après une route longue et difficile, symbole d’une fragilité où tout peut s’écrouler du jour au lendemain, le munâr, la tour de garde devrait-on traduire, est là pour nous interroger. Que faut-il faire pour sauvegarder l’avenir ? Il y a quelque part urgence si on ne veut pas que l’irréparable advienne.
Les jeunes filles afghanes privées d’éducation font des « rêves inachevés » selon la belle et triste expression de Claire Rouya, leurs parents aussi, bien sûr, qui n’ont plus que l’exil comme porte d’espérance. Pourtant toute une société civile reste active, sous le manteau. A nous de ne pas la décevoir.
Etienne GILLE, Le 17 décembre 2024
Sommaire du N°187
Actualité
Minaret de Djâm
par Pauline LAPOINTE
Le minaret de Djâm fait partie des monuments mythiques et qui font rêver de l’Afghanistan. D’autant plus mythique qu’il est situé loin de toute zone habitée et qu’il est menacé par les intempéries et l’usure du temps. La cheffe de mission d’AFRANE a pu s’y rendre. Elle nous fait le récit de son voyage et nous partage son émerveillement.
L’impact du changement climatique
par Mohammad Fahim ZAHEER
Lors du récent colloque organisé par le CEREDAF1 sur les problématiques liées à l’eau (« L’eau un combat vital pour l’Afghanistan »), l’impact du changement climatique sur les ressources en eau a été examiné par Fahim Zaheer, spécialiste de cette question. Nous avons extrait de l’enregistrement de son intervention en visio le résumé suivant.
Femmes
Rêves inachevés
par Claire ROUYA
Les vingt premières années de ce siècle ont fait émerger dans la société afghane toute une génération de jeunes éduqués qui espéraient pouvoir construire un avenir meilleur. Parmi eux beaucoup de jeunes filles, intelligentes, courageuses, déterminées. Et les voici contraintes à la réclusion. Et voici leurs petites sœurs privées d’écoles à partir du collège. Leurs rêves semblent brisés. Certaines sont désespérées. Beaucoup cherchent à s’exiler. Mais d’autres font le pari d’espérer
Société civile
Résistance civile : l’histoire d’une bibliothèque autogérée
par Yasin G. YAMIN
La double décennie de la République a vu éclore à travers tout l’Afghanistan de nombreuses initiatives culturelles et civiques. Voici l’histoire de l’une d’entre elles qui perdure encore aujourd’hui. Il n’est pas facile d’étouffer une jeunesse qui a soif d’avenir. (Les noms propres ont été modifiés pour des raisons de discrétion)
Relations internationales
La Chine avance et place ses marques: Après août 2021
par Alain MARIGO
Dans ce deuxième article qui fait suite à celui publié dans notre précédent numéro, Alain Marigo se penche sur l’implication croissante de la Chine en Afghanistan depuis l’arrivée des talibans au pouvoir. C’est le secteur des mines qui les intéresse au premier chef.
Histoire
Rencontre singulière au sommet
par Geoffrey SCHOLLAERT
Un soir d’été 1956, les rives de la rivière Pandjchir ont été le théâtre d’une rencontre improbable et singulière. Deux Britanniques, que tout oppose, se croisent et passent la soirée ensemble. L’un est explorateur écrivain, l’autre est écrivain voyageur. Alors que Wilfred Thesiger commençait son second voyage en Afghanistan, Eric Newby et son compagnon de voyage Hugh Carless voyaient le leur toucher à sa fin après trois semaines à tenter la première ascension du Mir Samir. Le premier incarnait l’explorateur chevronné et austère, tandis que le second était un alpiniste inexpérimenté et espiègle. Ces hommes, méconnus du public francophone, occupent pourtant une place importante au sein des voyageurs et explorateurs ayant décrit l’Asie. Présentation croisée.
Relations franco-afghanes
L’Asiathèque et l’Afghanistan
par Christiane THIOLLIER
Notre dernier numéro comportait un dossier consacré à la francophonie en Afghanistan. Il est juste de le compléter en évoquant le rôle joué par l’Asiathèque dans la diffusion d’une meilleure connaissance de la culture et des langues afghanes en France et par là même dans le développement de l’amitié franco-afghane.
Un thé vert avec
Et si l’on parlait de Micheline et de Pierre Centlivres?
par Régis KOETSCHET
Un thé vert avec deux ethnologues suisses de premier plan, amis chers de l’Afghanistan et des nouvelles d’Afghanistan, Pierre Centlivres et Micheline Centlivres-Demont.
Afghans de France
Le parcours d’une volleyeuse
par Martine-Cécile MEUNIER-JUST
Le dimanche 1er septembre 2024, au centre sportif Elisabeth à Paris 14ème, lors d’un hommage aux athlètes afghanes réfugiées en France organisé par le collectif « N’oublions pas l’Afghanistan », Martine-Cécile Meunier-Just a pu interviewer une jeune sportive afghane. Elle nous raconte son itinéraire plein d’embûches pour pouvoir exercer un sport collectif en Afghanistan, avant de devoir finalement s’exiler.
Hommage
Pierre Lafrance, un grand ambassadeur
par Eric LAVERTU
Dans notre précédent numéro Régis Koetschet a dit « Adieu à Pierre Lafrance ». Nous publions aujourd’hui l’hommage du président d’AFRANE, suivi de quelques autres témoignages.
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