Cet article est extrait du N°180 des nouvelles d’Afghanistan.

Zaher Divantchegui est le Président de l’Association Culturelle des Afghans de Strasbourg.

Ceci n’est pas une nouvelle, mais un récit véridique. Il retrace l’itinéraire d’un jeune réfugié, semblable à beaucoup d’autres, le panache d’une grande générosité en plus récit véridique. Il retrace l’itinéraire d’un jeune réfugié, semblable à beaucoup d’autres, le panache d’une grande générosité en plus.

Le destin brisé de Samiollâh

Il appartient à une génération abîmée, oubliée, écrasée et condamnée à errer. Il fait partie d’une génération où les blessures ne cicatrisent jamais.

Dès sa naissance, son rêve a été brisé par la violence, la guerre, le pouvoir de l’obscurantisme et mille et un malheurs.

Tout jeune, il quitte son pays l’Afghanistan pour parcourir des routes périlleuses. Il traverse l’Iran où les Afghans sont méprisés par le pouvoir et certains Iraniens afghanophobes. Il est traité comme un sous-homme. À la recherche de la paix, il ne savait pas que ce chemin passait par des obstacles inimaginables. Ainsi, il fuit la violence et tombe dans la violence.

Puis il quitte l’Iran, arrive en Turquie et il se souvient des soldats turcs dans son pays. Là, le jeune homme doit se battre tout comme ses compagnons contre les trafiquants qui leur volent leur argent. Il doit traverser la mer avec un canot gonflable ; il y rencontre des vagues violentes et a peur de se noyer. Il ne sait pas nager car il a vécu dans une contrée loin de la mer. Il ne connaît ni la mer, ni l’océan si ce n’est dans les vieilles revues de son grand-père.

Il est secoué dans cette barque qui tangue comme un ivrogne dans les vagues géantes. Tout se confond entre le ciel et la mer. Il oublie les éloges des poètes afghans pour la mer. La mer devient amère. Avec les tempêtes, elle devient folle. Nul ne sait où les vagues les emmènent. Vers le néant ? Ou la vie ?

Il arrive en Grèce. Son grand-père lui a dit un jour qu’Alexandre le Grand était venu de Grèce pour conquérir le pays de ses ancêtres. Il est fier de mettre le pied sur la terre d’un héros. Il se dit qu’Alexandre le Grand avait la volonté de conquérir le monde, mais lui il a la volonté de sauver sa vie et d’être un citoyen du monde.


Evacuation du centre de Moria en Grèce après un incendie (Photo DR)

En Grèce, il se fait arrêter, emprisonner. Désormais, il connaît la prison. Il se souvient du refrain d’une chanson afghane : « J’ai peur que le chasseur ne me libère pas de la cage, et que le chemin de la prairie s’efface de mon souvenir ». Il se souvient aussi des cailles en cage de son oncle. Un jour, il ouvrira la cage et les cailles s’envoleront dans le ciel. Il soupire ! Y aura-t-il quelqu’un un jour qui ouvrira cette cage ?

Par quel miracle, il ne sait plus, un beau jour il se retrouve hors de la prison. Ce jour-là, il ne se pose pas la question du comment et du pourquoi. Alexandre le Grand dans sa tombe a-t-il entendu son soupir ?

Maintenant, il faut trouver le chemin qui le mène à Rome. Ce chemin maudit où beaucoup de jeunes gens ont perdu la vie. Écrasés par les camions ou disparus. Il doit se cacher dans un de ces camions qui empruntent la route. Il retrouve l’énergie, le courage et la volonté de vivre.

Le camion s’arrête, il descend et prend la fuite sinon le chauffeur lui fera la peau. Il passe devant un étang. Il voit son reflet dans l’eau et il se dit : « je ressemble plus à un oiseau mazouté qu’à un jeune homme de 15 ans ! » C’est la vie ! Il arrive en Italie. À deux pas de son objectif ! Quelle ville ? Peut-être Rome ? Il ne sait pas. Il a faim et soif. Il ne sait pas comment se nourrir mais il refuse la mendicité.

Enfin la France

Des migrants dans un parc de Paris (photo DR)

Après quelques jours et quelques nuits, il monte dans un train qui l’emmène à Paris. Il met le pied sur la terre parisienne et verse quelques larmes. Il cherche refuge dans un parc. Il regarde le ciel et voit la Tour Eiffel de loin. Il se souvient de sa petite sœur qui lui montrait souvent son classeur bleu où les photos de la Tour Eiffel étaient collées soigneusement. Il ferme les yeux, il rêve d’être allongé dans un lit avec des draps de coton.

Les jeunes Afghans lui conseillent d’aller en Angleterre, mais lui, il choisit Strasbourg, la capitale de l’Europe, où se trouve la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Un jour, il est reçu au foyer X. L’éducateur l’oriente vers une chambre. Il sent le lit avec ses draps blancs. Il sourit. Ça faisait des mois qu’il n’avait pas pu sourire. Les éducateurs l’inscrivent dans un cours de langue. Il retrouve le plaisir du chemin de l’école.

Un soir après le repas, il se confie à son éducateur : dans l’enfer afghan, j’ai pratiqué la lutte, un sport bien courant là-bas. Je reprendrai les entraînements et je gagnerai des matchs. Un jour vous serez fier de moi.

Ainsi, le lendemain, il commence à courir dans un parc. Il court tous les soirs jusque tard dans la nuit. Un soir, lors de son entraînement, il voit une femme en train de se noyer dans un étang du parc de la Citadelle. Il oublie qu’il ne sait pas nager. Il saute dans l’eau glacée et il la ramène sur la berge. Quelle chance ! La victime est en vie. La police le remercie et s’occupe de la victime.

Il se dit : « j’étais redevable à la France. Ça y est, en sauvant la vie d’une femme, j’ai payé une partie de ma dette ».

La vie continue, comme ses démarches administratives, sa formation, la convivialité et la cohabitation. Tous les jours, il apprend le sens de la citoyenneté, le respect et le vivre ensemble. « Ici, ils me traitent comme les autres. Soit à cause de leurs métiers d’éducateurs, soit à cause de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, soit…. je ne sais pas, je n’en sais rien ! », dit-il.

Un jour, il entend que le Conseil Général du Bas-Rhin a adressé un courrier aux foyers pour ne plus prendre en charge les mineurs isolés. « Quel malheur ! Je n’avais pas imaginé que le malheur ait pu franchir les frontières. Le malheur est donc un phénomène universel ? Néanmoins, cette mesure, ça ne me concerne pas ! »

Quelques temps après, il entend qu’à leur majorité, les mineurs isolés pris en charge par les structures d’accueil doivent quitter les établissements. Il est pétrifié par cette nouvelle mais se dit qu’il est déjà majeur et, encore une fois, que cette mesure ne le concerne pas.

Un peu plus tard, l’équipe éducative, désolée, l’informe que le Conseil Général du Bas-Rhin a adressé un nouveau courrier. Son nom et celui de ses camarades figurent sur la liste des personnes dont la prise en charge prend fin.

Il pleure ! Et il observe que devant cette mesure qui ne vise que des jeunes d’origine étrangère, l’équipe éducative est indignée. Les travailleurs sociaux du Conseil Général sont-ils également indignés ? Il n’en sait rien.

Son destin est brisé pour la énième fois. Il pense que sa faute est d’être né en Afghanistan. Un pays où le malheur rôde perpétuellement. Il ne fallait naître ni en Asie, ni en Afrique. « Ah mon Dieu, si seulement j’étais né à Paris, à Brest, ou à Strasbourg, peu importe la ville. J’aurais droit à une identité, à ce qu’on me reconnaisse citoyen. A être comme les autres jeunes de mon âge. »

Depuis, ses rêves sont à nouveau saccagés. Désormais, comme auparavant, les cauchemars hantent ses nuits.

Le ciel de la capitale européenne est gris, les nuages épais prennent la lumière de cette ville qui a connu la souffrance. Sur la Cour des Droits de l’homme le ciel pleure. En attendant le lever du soleil à l’horizon de la terre de la Fraternité, de l’Egalité et de la Liberté, Strasbourg souffre de ces mesures discriminatoires.