Editorial du N°182

Isolement et solitudes

Comme chaque année, la planète se donne rendez-vous à New-York pour l’Assem­blée générale des Nations Unies. L’Afghanistan risque de briller par son absence, dans les travées comme dans les discours. « La maison brûle » – de l’Ukraine au Sahel, du Soudan à la mer de Chine – et la communauté internationale ne sait plus où ne pas regarder. La question de l’Afghanistan tend à devenir une impuissance comme une autre dans ce « Sud Global » à la géopolitique « gazeuse » ou « liquide » pour reprendre des termes à la mode – c’est à dire insaisissable.

Il y a deux ans, le Conseil de sécurité avait tracé le chemin de la reconnaissance pour le régime des tâlebân : arrêt du terrorisme, inclusivité, droits humains tout particu­lièrement des femmes et des enfants. Les États-Unis semblent convenir de certaines avancées sur le premier point (le plus important pour eux ?). Sur les autres, aucune, sinon des reculs.

Si on parle, ici ou là, et notamment à Doha, aux tâlebân, gage de leur pouvoir, on ne les « reconnaît » pas. Ils s’en désolent mais s’en accommodent, convaincus que le temps diplomatique travaille pour eux. Un nouvel ambassadeur de Chine vient d’ailleurs de présenter ses lettres de créances aux autorités de l’Émirat islamique.

Dans ce monde où les forces de la fragmentation et de l’enfermement sont à la manœuvre, le régime arriverait presque à se faire oublier : le suprémacisme pachtoune en est un parmi d’autres, le martyre des femmes concerne toutes les routes de l’exil, le dérèglement climatique conduit à une insécurité alimentaire croissante.

Le peuple afghan mesure sa solitude. Le photographe iranien, Ebrahim Noroozi, au travail sur l’Afghanistan distingué au Festival Visa pour l’image le présente comme « le pays le plus triste au monde et le pire pour les femmes ». La France vient d’accueillir cinq Afghanes. Les propos du directeur général de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) faisant de ce geste un évènement sont en décalage avec les besoins. D’ail­leurs, au moment où elles débarquaient, d’autres – notamment « dublinées » – faisaient l’objet d’OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Une pensée aussi pour la solitude du journaliste franco-afghan, Mortaza Behboudi, détenu depuis le 7 janvier.

Notre conviction est que l’Afghanistan, pays des centralités et des complexités, « compte » et que ce serait une erreur de le faire passer sous les radars de la commu­nauté internationale.

Dans ce numéro, Chahir Zahine et Charlotte Dufour veulent croire dans le carac­tère exigeant mais nécessaire de ce moment où l’Afghanistan, dans l’isolement de son régime et la solitude de ses populations, se retrouve face à lui-même.

On connaît les ressorts de la société civile afghane et sa capacité à « retourner toutes les pierres » mais on sait aussi qu’un pot de terre a rarement fait prévaloir ses vues.

« … Au moindre hoquet qu’ils trouvent.
Le pot de terre en souffre ; il n’eut pas fait cent pas
Que par son Compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu’il eût lieu de se plaindre… » rappelle Jean de La Fontaine.

Dans cet exercice existentiel presque impossible, le pot de terre afghan doit pouvoir compter sur notre solidarité active.

Régis KOETSCHET
Le 21 septembre

 

Sommaire du N°182

Actualité

Dès l’enfance on nous apprend que nous sommes faibles
par Hamrâh
Il est juste et nécessaire de recueillir les témoignages – les cris – qui nous parviennent d’Afghanistan et de les publier. Aujourd’hui celui de cette jeune fille qui a découvert à travers les souffrances vécues que, contrairement à ce qu’on lui avait toujours dit, elle pouvait vivre sans la protection d’un homme.

Prenons notre destin en main
par Shahir ZAHINE
Comme beaucoup d’Afghans, Sh. Zahine pense que les Afghans n’ont jamais été réellement maîtres de leur destin toutes ces dernières années, mais ont été les victimes du jeu des grandes puissances. Pour lui les Afghans devraient profiter d’une nouvelle situation internationale où les grandes puissances ont d’autres soucis pour s’entendre enfin entre eux. Opinion utopique ? Pour l’auteur, il y a cependant urgence car il n’est pas assuré que les talibans gardent durablement le pouvoir

La frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan depuis l’été 2021
Le quotidien à la frontière et la situation des réfugiés au Tadjikistan
par Mélanie SADOZAÏ
Dans cet article Mélanie Sadozaï poursuit le partage avec nous  de ses observations sur la région de la frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan et aborde les conséquences de la fermeture de ce lien entre les deux pays.
Cet article est en lecture libre sur notre site.

Patrimoine

Un riche héritage du passé
Le Séistan et la basse-vallée de l’Helmand
par Alain MARIGO
Après avoir exploré l’oasis de Balkh « vu du ciel » (notre numéro 180), Alain Marigo nous emmène cette fois dans une région moins connue, le Séistan. Les photos aériennes permettent d’y découvrir d’anciennes cités et d’anciens palais presqu’engloutis par le sable.

Histoire

Regard sur les archives de Louis Fougère
par Régis KOETSCHET
Louis Fougère joua un rôle de conseiller dans l’élaboration de la constitution afghane de 1964 qui ouvrait un chemin vers la démocratie. Chemin qui fut fermé neuf ans plus tard, il y a tout juste 50 ans, quand Daoud, le cousin du roi, prit le pouvoir. Louis Fougère fut aussi, avec son épouse, un grand ami des Afghans et de l’Afghanistan. Régis Koetschet a eu accès à ses archives afghanes.

Un thé vert avec

Charlotte Dufour
La grand’ faim d’Afghanistan de la nutritionniste
par Régis KOETSCHET

Afghans de France

Le droit de rêver pour un Afghanistan meilleur et une vie en France réussie
Haroon : le parcours d’un jeune vigneron
par Sarah GOGEL
Peut-être cent mille Afghans résident aujourd’hui en France. Les nouvelles d’Afghanistan, au fil des trimestres, parleront de leur parcours singulier, de leurs difficultés, de leurs réussites, de leurs rêves. Dans ce numéro, le témoignage un peu inattendu d’un vigneron…

Dernières nouvelles

Chronologie
Dernières publications
Notes de lecture

Comment pourrais-tu me comprendre?
par ADIBA

 

Pour ne rater aucun numéro, pensez à vous abonner aux nouvelles d’Afghanistan. C’est possible en ligne!