par Etienne Gille
Un article issu du N°171 des Nouvelles d’Afghanistan, spécial « 40 ans d’AFRANE ».
AFRANE est présente dans cinq provinces d’Afghanistan. Elle manifeste ainsi qu’elle n’a aucune préférence régionale. Chacune de ces implantations a une histoire, une belle histoire faite d’espérance et de fidélité.
Waras : une course de relais
Waras est un district perdu, en plein centre de l’Afghanistan, jadis à sept heures de voiture de Bâmyân et, maintenant que les routes se sont améliorées, à cinq heures. Mais que fait donc AFRANE dans ce lieu perdu ? Qu’est-ce qui l’y a conduit ? Grâce au beau livre de Catherine Hassan (1), on connaît un peu l’histoire de l’action d’AFRANE à Waras. C’est un peu comme une course de relais. Catherine et Habib partent en terre inconnue (Habib était un citadin de Kaboul et Catherine était des Deux-Sèvres) pour mettre en application ce qu’ils ont appris pendant leurs études et se mettre au service de populations démunies. Après l’assassinat de Habib en 1985, c’est Djawad qui prend le relais. Après avoir étudié au Pakistan, il affirme : je veux poursuivre le travail de Habib, et revient à Waras. Contre vents et marées (il sera incarcéré un temps par les tâlebân), il travaille dans le domaine de la santé puis se consacre avec AFRANE au développement du système scolaire. On ne compte pas les écoles qu’il aura fait construire ou réhabiliter, ni les bibliothèques et les salles de sciences qu’il aura créées, ni les professeurs dont il aura contribué à la formation. En 2016 il craint pour sa vie et obtient l’asile politique en France. Mais il a eu le temps de constituer une équipe autour de lui. C’est Moussa qui prend la relève, assisté par Nadjib et Zamân. Ainsi l’aventure de la fraternité continue. Et c’est maintenant une dizaine d’écoles qu’AFRANE soutient.
L’autre jour, Djawad a fait comme un songe. Il s’est dit, Habib est mort martyr. A ce titre, il a droit au paradis. Mais je le connais. Il a sûrement refusé. Il a certainement renoncé à aller direct au paradis. Il a dit : je veux que mon esprit reste à Waras pour continuer à aider les gens.
Djalâlâbâd : l’effet d’un rêve
Mohammed Ali Raonaq fait un rêve. Mohammed Ali Raonaq est un homme à tout faire. C’est un ancien élève du lycée Esteqlâl de Kaboul. Il a étudié en France, fait du théâtre, traduit Molière en persan, ouvert une boutique d’électricité à Chahr-e Nao, enseigné le dari à des dizaines de coopérants français. Exilé en France, il est retourné à Peshawar et est désolé de voir plein de jeunes réfugiés afghans déscolarisés, errant à ne rien faire, perdant leur culture. Son rêve est de créer tout un réseau d’écoles à l’intérieur de l’Afghanistan, une par province, qui seraient des écoles d’excellence prenant comme modèles les méthodes pédagogiques du lycée Esteqlâl d’hier.
Il y a un peu de nostalgie dans ce rêve. Mais il s’y attelle, avec l’aide de Nouroullâh Hakimi qui franchit à pied les chemins escarpés permettant de contourner la frontière pour servir de relais entre Peshawar et l’école naissante de Djalâlâbâd. C’est une école mixte, avec des fillettes bien éveillées.
L’école démarre en pleine guerre civile, Kaboul est devenu inaccessible. Puis c’est l’époque des tâlebân, qui miraculeusement ferment les yeux. L’école est une sorte de havre de paix respecté. En 2002 l’école est remise à l’Education nationale renaissante. Pour les garçons, un lycée Esteqlâl officiel est ainsi créé pour lequel AFRANE, avec l’aide de MADERA et du ministère français de l’Education va construire un bâtiment. Les filles de leur côté vont étudier au lycée Nâzou Ana voisin. On connaît la suite : quelques volontaires français qui s‘y succèdent pour soutenir le projet, l’expansion des deux lycées, d’autres bâtiments construits, le français enseigné à Esteqlâl. Peu à peu AFRANE étend son aide à d’autres lycées de Djalalabad et ouvre des cours préparatoires au concours d’entrée à l’Université. Pour faciliter l’accès des filles à l’enseignement supérieur, un internat est construit et porte le nom de Lise Aucerne qui en a permis le financement. « Et j’en dirais, et j’en dirais » tant cette histoire est riche en fruits de toutes sortes.
Dacht-e Bartchi : une plaine inculte à présent surpeuplée
Dacht-e Bartchi, au début c’était un dacht, une plaine inculte. Un Afghan, futur ambassadeur en France, y avait une propriété et sa fille devint membre d’AFRANE. En 2002, quand AFRANE se trouva dans la situation de pouvoir soutenir plus significativement des projets éducatifs, une mission exploratoire eut lieu. La personne qui faisait la mission consulta cette dame qui lui proposa d’aller voir un endroit déshérité qu’elle connaissait. C’était à Dacht-e Bartchi qui commençait à se peupler à l’époque. Beaucoup de Hazâras quittant leur région natale qui ne pouvait plus les nourrir venaient s’installer dans ce faubourg de Kaboul.
C’est ainsi qu’AFRANE inscrivit à son programme d’aide une école dénommée Tchehel Dokhtarân en souvenir du suicide légendaire de 40 jeunes filles résistantes préférant mourir plutôt que de se rendre entre les mains des soldats de l’émir Abdul Rahmân. L’école était démunie de tout et n’avait pas de locaux propres mais était logée dans une maison louée. AFRANE promit de construire un bâtiment dès que l’école trouverait un terrain. Cela dura longtemps jusqu’au jour où des habitants de Dacht-e Bartchi vinrent trouver AFRANE et déclarèrent : nous avons trouvé un terrain. C’étaient des roublards, car quand AFRANE eut construit l’école, ils révélèrent que le terrain était trop éloigné de Tchehel Dokhtarân et qu’il n’était pas question d’y accueillir les élèves de cette école. Le nouveau bâtiment serait pour les enfants du quartier qui s’appelle Chahrak-e Safâ. Passons sur les détails car un numéro des nouvelles d’Afghanistan ne suffirait pas pour rapporter les péripéties du projet. Mais c’est ainsi qu’AFRANE soutient aujourd’hui deux écoles : celle de Chahrak-e Safâ et celle de Tchehel Dokhtarân… qui est toujours logé dans des bâtiments loués…
Pendant ce temps-là Dacht-e Bartchi s’est énormément peuplé et un ou deux millions de personnes, tous Hazâras, y demeurent. Et l’assistance d’AFRANE s’est étendue à un autre lycée de filles, celui de Bibi Zainab Kobra, puis à plusieurs lycées situés dans d’autres quartiers périphériques de Kaboul.
Auparavant, et ce serait une autre belle histoire à raconter, AFRANE a soutenu le lycée Zuleikhâ de Khayr Khâna dont la directrice avait animé une école clandestine du temps des tâlebân.
Tchârikâr : enseigner même pendant la guerre civile
Voilà encore un des fruits de l’action de Mohammed Ali Raonaq. Dans la foulée de la création de l’école Esteqlâl-Malalaï de Djalâlâbâd, il apprend qu’il y a une opportunité pour créer le même genre d’école à Tchârikâr. L’histoire de l’enseignement du français à Tchârikâr a été racontée dans le numéro 169 des nouvelles d’Afghanistan. Il n’est pas nécessaire d’y revenir. Peut-être cependant le courage de ceux qui ont participé aux débuts du projet n’a-t-il pas été assez souligné. Car Tchârikâr, dans les années tâlebân était véritablement sur la ligne de front. Parfois les tâlebân en prenaient le contrôle, parfois c’était le tour des forces de Massoud. Imaginer le temps des tâlebân comme un temps de tranquillité serait grandement inexact. L’institut pédagogique de Parwân était devenu un dépôt d’armes et le lycée Hora Djalali avait été bombardé, je ne saurais plus dire par qui. Une partie de la ville avait été incendiée. En 2002, quand je me suis rendu à Tchârikâr, l’école Esteqlâl-Malâlaï était hébergée un peu à l’écart dans une maison misérable. On n’imagine plus cette époque. Avec l’aide d’Af-Développement, qui s’appelait alors AFRANE développement, le lycée de filles Hora Djalali a été restauré, ce n’était pas une mince affaire, et a hébergé l’école Esteqlâl-Malalaï. Celle-ci, intégrée dans l’Education Nationale afghane, perdait son indépendance mais bénéficiait de meilleures conditions de travail. AFRANE a également soutenu une école voisine, l’école numéro 1, créé de nombreux équipements pédagogiques (bloc pédagogique, terrain de sport…), coopéré avec l’Institut pédagogique de Parwân, puis étendu son aide à de nombreux établissements de l’agglomération tandis qu’à la demande des écoles concernées elle apportait son concours à l’enseignement du français dans trois écoles. L’occasion de saluer Soheila, Nafissa, Soma, Allah Mohammed qui en sont les dispensatrices et dispensateur.
Et Hérat ? En mémoire de Stéphane
Bien sûr tout le monde aime Hérat. Mais AFRANE particulièrement. Du temps de la résistance contre l’occupation soviétique, AFRANE, avec d’autres, avait pris conscience que l’aide humanitaire était apportée essentiellement dans les provinces d’Afghanistan proches de la frontière pakistanaise, pour d’évidentes raisons de facilité. Mais ce n’était pas juste. Il fallait « aller plus loin ». C’est ainsi qu’il fut décidé d’effectuer des « missions » d’aide dans la province de Hérat. S’y rendirent pour AFRANE Mohammed Yakoub en 1986, Patrick Roussel, le futur fondateur d’ACTED, et Ian Babeanu en 1987, Patrice Faivre et Stéphane Thiollier en 1988, le même Stéphane, accompagné par Cristina Lhomme et Gilles Dorronsoro en 1989. Faut-il rappeler que ce n’étaient pas des missions aisées et de tout repos ? Stéphane Thiollier se trouva ainsi un jour dans la jeep d’Ismaël Khân qui fut prise pour cible d’un tir de roquette… Ils en sortirent indemnes, mais cela crée des liens.
Quand, quelques années plus tard, Stéphane mourut accidentellement, une association « Les amis de Hérat » fut créée, avec pour objectif de perpétuer la mémoire de Stéphane en soutenant une école de Hérat. Ainsi furent noués des liens avec l’école de Haouz-e Karbas, un faubourg de Hérat, pour laquelle des bâtiments furent construits et plus récemment des équipements fournis. Ces dernières années, deux autres écoles ont reçu de l’aide d’AFRANE, l’école de Abou al Walid et celle de Khodja Kozagar pour laquelle AFRANE a construit un étage.
Malheureusement, Hérat est toujours loin… et l’aide d’AFRANE ne peut qu’y être limitée. Est-il possible d’ajouter qu’il semble aussi que Hérat soit plus développée, notamment au niveau scolaire, que d’autres régions, et que donc, les besoins y sont (très relativement) moins importants qu’ailleurs ?
Etienne Gille
(1) Habib Rostam, une vie donnée, 2020, CEREDAF.
Veuillez retrouver ici le sommaire complet du numéro exceptionnel des Nouvelles d’Afghanistan spécial « 40 ans d’AFRANE ».