Dans le cadre de son action pédagogique, AFRANE organise des échanges épistolaires entre des classes françaises et des classes afghanes. Cela peut donner lieu à un véritable projet éducatif comme dans le cas de cet échange entre une école de Djalâlâbâd et un Institut d’Education Motrice et de Formation Professionnelle de la région nantaise.
Un article d’Anne-Valérie Bardot, Professeure des écoles à l’IEM-FP La Grillonnais à Basse-Goulaine près de Nantes, auprès de jeunes atteints de troubles moteurs.
Article extrait du
N°167 des Nouvelles d’Afghanistan.

Les Nouvelles d’Afghanistan N°167

« Madame, de quoi on va parler ? Qu’est-ce que vous nous montrez cette fois ? »

Voici les premières interrogations soulevées par mes élèves un jeudi après-midi du mois de janvier 2019 devant une vidéo présentant des paysages d’un pays inconnu.

Passionnée par mon métier et ayant comme objectif de permettre aux jeunes de progresser dans leurs apprentis­sages je suis toujours à la recherche d’un projet motivant pour mes élèves. Mon groupe d’élèves se composait de huit jeunes majeurs en formation professionnelle construction mécanique.

Un projet né d’une rencontre

Notre projet « A la découverte de l’Afghanistan » est né d’une rencontre avec Claire Patard, conseillère pédagogique de l’association AFRANE, venue nous présenter le système scolaire afghan à l’IEM-FP. Deux collègues professeurs des écoles, Marlène et Jean-Michel, et leurs groupes d’élèves se sont joints à nous pour vivre ce beau voyage. Nous avons tout d’abord pris le temps d’une première découverte de l’Afghanistan : situer le pays géographiquement et découvrir quelques éléments de son histoire complexe, percevoir avec intérêt ce que peut être la vie des Afghans à travers des films, des photos… Nous avons par exemple lu un témoignage d’une femme afghane paru dans Les Nouvelles d’Afghanistan n°159 (décembre 2017) intitulé « L’itinéraire d’une femme afghane ». Pour compléter nos premières représentations de ce pays lointain, nous avons visionné le film d’animation « Parvana, une enfance en Afghanistan » réalisé par Nora Twomey. Claire nous confirma plus tard que des petites filles se déguisent parfois en garçon pour subvenir aux besoins de leur famille.

Intervention d’AFRANE sur le thème du système scolaire afghan

Fin janvier, Claire est donc venue une première fois nous raconter le quotidien des enfants et adolescents en Afghanis­tan. Les photos de son diaporama, présentant les conditions de scolarisation des enfants et leurs petits métiers, étaient aussi belles que bouleversantes. Quelle ne fut pas notre sur­prise d’apprendre que certaines écoles scolarisent plus de 5 000 élèves, que des temps d’enseignement ont lieu dehors sur des tapis, que des salles de classe sont sans toits… alors qu’à l’IEM, environ 80 élèves de 16 à 25 ans, en situation de handicap moteur, suivent une formation professionnelle et des temps d’enseignement général dans un cadre autant bienveillant que confortable.

– « Ils ne prennent pas le car de ramassage scolaire ? ». Voilà une question de Nathan lorsque Claire nous expliqua que certains enfants habitant à la montagne devaient mar­cher jusqu’à deux heures pour se rendre à l’école. Comment sont pris en charge les enfants atteints de han­dicap ? Quels sont les plats typiquement afghans ? Y a-t-il des cantines dans les écoles ? furent d’autres questions que les jeunes ont posées à Claire tout au long de sa présentation.

Echanges épistolaires

Sur la suggestion de Marlène, ma collègue enseignante, d’organiser un repas afghan, Claire nous proposa de nous mettre en contact avec Chantal et Kassim Osmani, un couple franco-afghan, pour nous aider dans cette nouvelle étape. En parallèle, elle nous donna envie de démarrer une correspondance avec un lycée afghan afin de mettre en place un échange entre jeunes autour de leurs centres d’intérêt, de leurs différences culturelles, de leurs rêves, idéaux ou projets d’avenir. Avec mes collègues et les trois groupes d’élèves, nous avons donc rédigé une lettre collective illustrée de photos pour présenter notre établissement. Individuellement, les jeunes ont composé leur première lettre, informatique ou manuscrite selon les envies et les possibilités de chacun. Lettre agrémentée d’une photo, d’un dessin, ou de traits humoristiques…

En avril, Claire eut la délicate mission de remettre nos précieuses lettres à un établisse­ment afghan : le lycée Esteqlal à Djalâlâbâd. A son retour en France, nous avons découvert les réponses des jeunes lycéens. Nous avons été ébahis par la qualité de leur réponse ; ils s’expri­maient tous en français, nous répondaient avec soin et plaisir. Grâce à leurs photos et leurs explications, nous en avons appris encore un peu plus sur ce pays. Une seconde série d’échanges de lettres entre les jeunes a montré que les préoccupations des jeunes gens sont finalement les mêmes : sport, nature, animaux, cinéma, jeux vidéo, projets d’avenir…

Extraits des échanges de lettres entre les jeunes français et afghans :

« J’ai 19 ans et je suis élève à la Grillonnais qui se trouve à Nantes. Mes passions sont les animaux et la mécanique automobile. J’adore jouer à la console. Mon jeu préféré c’est GTA 5 ». Dylan
« Bonjour Dylan. J’ai reçu ta lettre, et merci pour les pho­tos envoyées. Je m’appelle Mohammad Suliman, j’ai 15 ans, j’habite à Djalâlâbâd. Je suis élève au lycée Esteqlal en 9ème classe, j’aime le français car, je voudrais étudier en France. Mon sport préféré est l’yoga. Aussi, j’adore les jeux vidéo, spécialement IGI. »

« Je fais une formation en mécanique. Je travaille la tôle, l’acier… J’aimerais bien être forgeron, c’est mon rêve ! Mais c’est quoi un forgeron, me direz-vous ? Et bien c’est en général une personne qui va travailler les métaux donc les faire chauffer pour qu’ils soient aussi mous que de la pâte à tarte, miam ! » Malo
« Cher Malo
J’espère que tu vas bien, et merci pour ta lettre.
Tout d’abord, je me présente, je m’appelle Ozair,
J’ai 18 ans, et je suis célibataire, je suis élève au lycée Esteqlal en 11ème classe,
Aussi, je suis en première position dans la classe.
J’apprends le français parce que c’est une langue inter­nationale,
Après-midi, je joue au cricket, et aussi, je répète mes cours,
Dans le week-end, je vais à Kaboul pour pique-niquer.
Forgeron c’est quelqu’un qui est toujours avec le fer, et les différents métaux. Plus-tard, je veux devenir ingénieur, c’est mon grand sou­hait. » Ozair

« J’ai un fauteuil dû à mon handicap. Mes passions sont la nature, jouer à l’ordinateur et j’aime bien faire du vélo. J’aime bien étudier. Je souhaiterais travailler dans un lieu adapté en industrie ». Nathan
« Bonjour cher Nathan
J’espère que tu vas bien, j’ai reçu ta lettre et merci beau­coup pour les photos.
Je m’appelle Zahidullah, j’ai 15 ans, j’habite à Djalâlâbâd,
Je suis élève au lycée Esteqlal en 10ème classe, j’apprends le français, car, c’est une langue inter-nationale.
Dans le sport, j’aime beaucoup le cricket, et mon joueur préféré est Rachid khan.
Aussi, comme toi, j’aime faire du vélo et je le fais dans le parc prés de notre maison.
(…) Je te souhaite une bonne formation plein de joie »

« Je suis interne, cela veut dire que je dors à La Grillonnais, car j’habite à 3h de voiture de l’établissement. » Isabelle
« Bonjour chère Isabelle. J’espère que tu vas bien, et merci pour ta lettre et les photos. Je m’appelle Safatul­lah, j’ai 15 ans, j’habite à Djalâlâbâd, et suis élève au lycée Esteqlal. En 9ème classe, mes passions sont jouer au foot et faire du vélo. Après-midi je vais au magasin, le soir j’étu­die mes cours. Et après-midi, tu fais quoi ? »

Nous avons senti que les jeunes Afghans sont très fiers de leur pays, qu’ils semblent aimer profondément. Leur histoire fait qu’ils se sentent très concernés par le maintien de la paix dans leur pays et nous avons été particulièrement touchés par cette phrase que nous avons affichée sur nos murs, en persan et en pachto :

« La seule façon d’apporter la paix au monde
est d’ap­prendre soi-même à vivre en paix. »

Visite d’un directeur d’un lycée afghan à Djalalabad

Exposé sur l’Afghanistan

Début mai, nous avons accueilli M. Ahmad Chah, le directeur du lycée Esteqlal, alors en visite en France. La directrice de l’IEM-FP, accompagnée de Malo (un jeune du groupe), de Marlène, de Claire et de Kassim servant d’interprète, a fait visi­ter l’IEM à M. Ahmad Chah pour lui montrer comment, en France, peuvent être pris en charge des jeunes en situation de handicap afin de les rendre acteurs de leur projet de formation professionnelle. Un temps d’échange a suivi cette visite. Tous ensemble, professionnels et jeunes, avons écouté très attentivement les remarques d’Ahmad Chah sur sa visite ainsi que la présen­tation du lycée qu’il dirige en Afghanistan. Il a exprimé son bonheur de pouvoir visiter notre établissement et a émis le vœu qu’en rentrant dans son pays il puisse œuvrer davantage à l’inclusion des jeunes porteurs de handicap dans les écoles afghanes.

Et pour bien finir ce projet… un délicieux repas afghan!

Finalement vint le dernier moment de partages et de dé­couvertes autour de l’Afghanistan : le repas organisé fin mai grâce à Chantal et Kassim. Tous les jeunes, sous leur direc­tion, ont lavé, épluché, découpé plus ou moins finement, avec parfois de l’aide, remué, étalé, légumes, viande, pâte… Avec le couple d’anciens restaurateurs, nous avions décidé plusieurs semaines auparavant du menu que nous déguste­rions lors de ce repas. Nous avons ainsi savouré avec gour­mandise ce jour-là boulânis, bourânis, qabili palao et firni. Ce fut un repas généreux servi par Chantal et Kassim, vêtus d’habits traditionnels afghans et accompagné de musiques afghanes. Je crois qu’ils étaient tous les deux aussi heureux que nous de ce moment partagé.

Kassim fier de son palao

Finalement, ce projet fut l’occasion de travailler des com­pétences du programme de l’Education Nationale, comme par exemple en mathématiques, la proportionnalité en vue de la préparation du repas afghan. En lecture, par le biais du témoignage poignant de cette femme afghane obligée de quitter son pays en guerre, les jeunes ont travaillé la com­préhension de l’implicite avec le re-pérage d’éléments nar­ratifs. De plus, en fin d’année scolaire, les jeunes ont rédigé un compte-rendu détaillé de toutes les étapes du projet, une séquence d’écriture qui a permis de renforcer leurs connais­sances sur le sens du compte-rendu et les critères de rédac­tion. Ce compte-rendu a d’ailleurs paru sur le site internet de la Grillonnais et sur celui d’AFRANE.

De mon côté, ce projet a été bien sûr l’occasion d’ap­prendre à connaître un beau pays qui mérite d’être connu de façon plus juste par les Français, mais surtout il a été riche en rencontres passionnantes et généreuses.

Anne-Valérie Bardot avec Claire Patard, à gauche.

Anne-Valérie Bardot