Le N°172 des Nouvelles d’Afghanistan

Editorial du N°172, par Etienne Gille

Réconcilier les mémoires

Combien est long le chemin vers la paix en Afghanistan ! Il nous semble déjà interminablement long, vu de France, combien plus encore l’est-il en Afghanis­tan, alors que des crimes sans nom, sans nombre visent chaque jour tout ce que le pays a d’intelligence et de cœur : journalistes, médecins, juges, responsables politiques, femmes aussi bien qu’hommes. Comme s’il s’agissait de faire table rase et d’éliminer un des atouts du régime actuel, la liberté d’expression, pour mieux imposer une dictature.

Le poème que nous publions en page de couverture, écrit pourtant par un en­fant, en dit long sur l’état d’esprit de beaucoup d’Afghans. Nous n’avons plus le choix qu’entre fuir ou mourir. Le texte que Mike Barry a bien voulu nous confier, certes pas toujours diplomatique et dont Les nouvelles d’Afghanistan n’épousent pas nécessairement toutes les positions, fait part aussi, dans sa première partie, de cette désespérance. Il montre ensuite dans quelle impasse les Américains se sont fourvoyés.

Alors que Trump avec une inconséquence inimaginable a ouvert un boulevard aux tâlebân, le chemin vers la paix n’a jamais été aussi étroit. Il doit se faufiler au travers de quelques réalités incontournables :

– La présence militaire américaine est vouée à disparaître tôt ou tard. Les Afghans doivent donc trouver les moyens de se défendre eux-mêmes. Pour quelle raison les tâlebân, largement minoritaires, l’emporteraient-ils nécessairement, fût-ce avec le concours masqué du Pakistan ? L’armée afghane a su jusqu’à présent pallier le départ déjà réalisé de 100 000 soldats américains, pourquoi s’effon­drerait-elle du jour au lendemain ? Au lieu de la déconsidérer jour après jour il conviendrait de la conforter.

– La grande faiblesse du gouvernement réside dans la division du monde politique afghan et dans sa mauvaise image dans l’opinion publique. On oublie tout le tra­vail fait dans le domaine de la santé et de l’éducation, pour ne retenir qu’une cor­ruption hélas bien réelle. Lutter contre ces fléaux est plus que jamais nécessaire.

– On ne peut pas laisser croire que la seule intransigeance des tâlebân et la capi­tulation d’une grande puissance peuvent les amener au pouvoir. Peut-on attendre des autorités européennes d’affirmer clairement qu’un pouvoir ne pourra être reconnu s’il n’est pas validé par un processus démocratique? Il est à peu près clair pour tout le monde que les tâlebân n’obtiendraient jamais une majorité dans des élections libres. C’est bien pour cela qu’ils refusent tout processus électoral. Aussi faut-il les contraindre de se confronter au verdict des urnes.

Ceci étant dit, il faut bien en finir avec la guerre et donc donner une place aux tâlebân. Et comme la paix nécessite aussi que le Pakistan cesse son soutien logis­tique à l’insurrection, l’Afghanistan ne pourrait-il pas, en échange, offrir de recon­naître enfin le tracé de sa frontière avec son voisin? Qui, à part quelques politiciens, n’accepterait de gagner la paix contre un renoncement à un rêve inaccessible ?

Mais surtout, un travail aussi gigantesque qu’urgent s’impose. La guerre n’est là que parce que les esprits ne sont pas en paix. Et ceux-ci sont tourmentés parce que jamais n’ont été pansées les blessures du passé. Jamais une commission « Justice et Paix » n’a permis à des victimes de dire ce qu’elles ont vécu. C’est une véritable politique de la réconciliation qu’il faut inventer en sachant que seules la vérité et une forme douce de justice pourront conduire à une société apaisée.

Etienne Gille, le 11 mars 2021

Sommaire du N°172

Géopolitique

Entre conflits religieux et manipulations ethniques
« Qu’allons-nous devenir »?
par Mike BARRY
Mike Barry aime l’Afghanistan depuis toujours. Déjà en 1974
il publiait un Petite Planète sur ce pays. Il aime les Afghans
et il souffre de leurs souffrances. Il souffre aussi de la politique
menée par son pays, les Etats-Unis, qui n’a pas su amener la paix
et le développement dans le « Royaume de l’insolence ».
Il souffre et il s’emporte. L’ample analyse qu’il propose aux lecteurs
des nouvelles d’Afghanistan mérite d’être méditée.
La lecture de cet article vous est proposée en ligne.

L’Afghanistan, parent pauvre de la recherche
par Jean-Pierre PERRIN
Le CEREDAF publie au mois de mars le livre posthume
de Marjane Kamal
, fruit de longues années de recherche
de terrain, dans des zones peu accessibles du fait de l’insécurité,
et d’aussi longues années d’études des sources universitaires1.
Jean-Pierre Perrin, dans une préface à ce livre, souligne l’intérêt
de ce travail, mais déplore la faiblesse de la recherche
universitaire française dans une région pourtant centrale pour
la paix mondiale. Nous publions le début de cette préface.

Société

De nouveaux visages
par Bérengère HAUER
On parle de la guerre, des chefs de guerre, des négociations.
On parle peu des nouveaux visages de la société afghane.
Des jeunes qui continuent de croire en un avenir meilleur.
Bérengère Hauer a eu l’occasion de rencontrer quelques
personnalités de cette société en construction, aux parcours
très divers.

Les secteurs des médias depuis 2002
La liberté n’est pas donnée, elle s’acquiert
par Shahir ZAHINE
Shahir Zahine a joué un rôle important dans le développement de la presse
en Afghanistan depuis 2002. Aussi il était particulièrement bien placé pour
parler de sa vitalité et de ses difficultés. Secteur clé de la vie démocratique,
les médias afghans bénéficient d’une liberté exceptionnelle dans la région.
Ce n’est pas pour rien que les journalistes afghans sont de plus en
plus fréquemment victimes d’attentats.

Mes compagnons de voyage m’ont sauvé des mains des tâlebân
par Nassim IBRAHIMI
M. Ibrahimi est un homme enthousiaste. Il semble incarner la joie de vivre.
Et pourtant, comme beaucoup d’Afghans, il a traversé des moments terribles.

Histoire

Souvenirs d’une french doctor en Afghanistan, Capucine de Bretagne
par Constance MICALEF MARGAIN
Dans notre dernière parution, Régis Koetschet prenait le thé avec Juliette
Fournot. Constance Micalef Margain nous raconte aujourd’hui une mission
pleine de périls de Capucine de Bretagne, partie au Pandjchir à la même
époque.

Un thé vert avec

Le patrimoine comme arme de paix avec Valéry Freland
par Régis KOEĪSCHEĪ
Les conflits qui sévissent de par le monde ne font pas des victimes
que parmi les humains. Certains belligérants aimeraient détruire toutes
traces d’un passé qu’ils veulent effacer.
Régis Koetschet s’est entretenu avec la personne en charge de la sauvegarde
de ce patrimoine en péril.

Dernières nouvelles

Chronologie (décembre 2020 – janvier 2021)

Mémoire: Mohammad Azam Rahnaward Zariâb
Assia Akram

Dernières publications

Notes de lectures

Quand me tueront-ils ?
Un poème de Shah Jahan ADILZAI
Lors d’une « journée de la paix », organisée par AFRANE dans un lycée de Djalalabad, les élèves ont écrit des textes, des réflexions, des poèmes. L’un d’entre eux, désespéré, a retenu notre attention.
Ecrit en pachto par un élève de 9ème classe, l’équivalent d’une classe de 3ème en France, il dit combien grande est la détresse des élèves, mais aussi leur courage pour continuer à se rendre chaque jour à l’école.

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